Le plus difficile lors des fêtes bien arrosées, c’est le lendemain. Pour les habitués, on conseille en général un café bien fort, une bonne dose d’eau claire et une cure de sommeil réparateur. N’importe comment, il faut retrouver ses esprits et promettre, dans la foulée, de ne plus recommencer. On parle là des buveurs pénitents. Pour les autres, c’est généralement une promesse en l’air. C’est le cas d’une bonne partie de « l’élite» tunisienne – qui se veut démocrate et libérale – qui se réveille au lendemain de chaque scrutin avec la gueule de bois et qui, pourtant, s’acharne à recommencer.
Encore une fois, lors de la dernière élection présidentielle, on les a retrouvés en rangs serrés pour faire la fête autour de l’isoloir. Quand bien même les résultats étaient connus d’avance, l’idée était qu’il fallait mobiliser les Tunisiens autour de certaines valeurs qu’on croyait menacées. Ils croyaient que c’était possible, enivrés qu’ils étaient par ces centaines de manifestants, dont une bonne partie de jeunes, qui ont bravé la peur ambiante pour descendre dans les rues acclamer une démocratie qu’ils disaient confisquée. Soulés par des slogans anti-régime, ils ne voyaient pas venir le raz-de-marée qui les a tous engloutis en une seule rasade, cul sec, pour les régurgiter plus loin, plus humiliés que jamais. Ils savent désormais que faire la fête, ça a un prix et qu’avoir la gueule de bois ne dispense pas de payer les factures. Avec les échecs du passé, la facture sera cette fois-ci assez lourde et ce ne sera pas un simple mea culpa qui effacera l’ardoise. Ils pourront toujours dire que près des trois quarts des Tunisiens n’ont pas participé au festin. C’est vrai. Sauf qu’on omet de dire qu’ils n’ont pas réussi à les mobiliser. Peut-être faute d’un bon buffet, mais ce qui est sûr, et là aussi on n’a rien vu venir, c’est que l’autre camp a su mobiliser plus de deux millions de votants. Ce n’est pas rien, même si on dit que, pour eux, le buffet était plus nourri. Et puis, tout le monde sait qu’il est plus gratifiant d’être du côté des plus forts. Dans la cuisine nationale, les paradoxes ne dé[1]rangent manifestement personne.
La prolifération à l’infini des théoriciens du « bonheur absolu et à venir » est un cache-misère, mais la dérive se vit dans la joie quand on a le bonheur de pouvoir afficher à tout va, sur tous les plateaux, des monuments de compétences, malheureusement incomprises par le reste de l’humanité. Même quand le menu n’attire pas grand monde, le plus important est d’affirmer sa différence, dans l’indifférence générale, cela va de soi. Et même lorsque les convives ne sont pas assez nombreux pour faire le tour de la table, la bouffe est déclarée divine. Mais bon, ce sera une expérience de plus à méditer. Après tout, les élections ne sont qu’un concours, ensuite, il va falloir remettre les pieds sur terre. Le monde qui bouge ne nous attendra pas. En tout état de cause, il ne tiendra aucun compte de la rhétorique électorale actuelle, en particulier celle qui consiste à développer un populisme né du désarroi économique et social. Les pétitions de principe sur les complots ourdis à l’étranger ne modifient en rien les flux économiques internationaux. Et jusqu’à nouvel ordre, la Tunisie, parmi mille autres choses, n’a pas d’autre choix que d’importer du blé et des médicaments. Pour les gagnants aussi, les lendemains de fêtes, il faut bien payer les factures. En se donnant les moyens de le faire…
Le mot de la fin est disponible dans le mag de l’Economiste Maghrébin n 904 du 9 au 23 octobre 2024