En marge du colloque « Chine-Afrique : opportunités et perspectives d’une communauté d’avenir partagé de tout temps à l’ère nouvelle », organisé dernièrement à l’Académie diplomatique internationale de Tunis, et à la veille du sommet très important des BRICS à Kazan en Russie, nous avons rencontré M. Wan Li, ambassadeur de Chine en Tunisie. Avec lui, nous reviendrons sur la dernière visite du président Kaïs Saïed en Chine et sur la coopération sino-tunisienne. Il sera aussi question des BRICS, du Sud global et de la « dédollarisation ». C’est aussi, une occasion de revenir sur le génocide israélien à Gaza, les raids au Liban et la riposte iranienne contre Israël.
Lors de la visite du président Kaïs Saïed en Chine, plusieurs accords de coopération multiforme– qualifiés de partenariat stratégique- ont été signés entre nos deux pays. Où en est-on dans l’application de ces accords? Et quels sont les projets en cours de concrétisation actuellement dans lesquels la Chine est partie prenante?
À l’occasion de la visite de S.E.M. Kaïs Saïed, Président de la République tunisienne en Chine, la partie chinoise et la partie tunisienne ont signé huit accords de coopération couvrant un large éventail de domaines tels que le développement vert, le commerce et l’investissement, l’aide au développement et les médias, etc. Certains des accords doivent attendre que la partie tunisienne achève l’approbation parlementaire et d’autres procédures pour entrer en vigueur. Mais les départements concernés de la Chine et de la Tunisie se préparent déjà activement à la mise en œuvre des accords.
Par exemple, la partie chinoise a terminé l’approbation du projet du Centre de cancérologie de Gabès. Et elle est en train de préparer la procédure d’appel d’offres pour la conception du projet.
Les deux parties ont eu des discussions approfondies sur le nouveau don accordé par le gouvernement chinois pour des projets de priorité de la partie tunisienne.
En juin de cette année, une délégation de l’administration d’État de la Radio et de la Télévision de Chine s’est rendu en visite en Tunisie et a échangé activement des points de vue avec l’Établissement de la Radio nationale tunisienne sur la manière de mettre en œuvre l’accord de coopération.
Une série d’accords apportera plus d’opportunités pour la coopération sino-tunisienne dans le futur.
Il est certain qu’avec les efforts conjoints des deux parties, la coopération sino-tunisienne dans divers domaines progresse avec succès.
Le port en eau profonde d’Enfidha, dont le projet est toujours en suspens, pourrait être un point de passage important dans la route de la soie. La Chine est-elle intéressée par la concrétisation de ce projet? Si oui, a-t-il été discuté avec les autorités tunisiennes?
Le gouvernement tunisien a lancé un appel d’offres pour la première phase du projet de port en eaux profondes d’Enfidha en 2017. Et China Harbour Engineering Co Ltd a participé à l’appel d’offres, mais le résultat n’a pas encore été annoncé par la partie tunisienne.
Le gouvernement chinois encourage toujours les entreprises chinoises à explorer la coopération avec la partie tunisienne et à participer à la construction de grands projets d’infrastructure conformément aux principes du commerce et du marché. Actuellement, l’Ambassade ne dispose pas de nouvelles informations sur ce projet.
Le gouvernement chinois encourage toujours les entreprises chinoises à explorer la coopération avec la partie tunisienne et à participer à la construction de grands projets d’infrastructure, conformément aux principes du commerce et du marché.
On sait que l’un de freins à une meilleure coopération sino-tunisienne est la loi sur les appels d’offres. Ce frein est-il toujours à l’œuvre ou est-il en voie de dépassement?
Dans la pratique de la coopération économique et commerciale internationale, chaque pays a élaboré ses propres lois et règlements. À l’heure actuelle, il existe en effet des différences entre les dispositions des lois et règlements tunisiens telles celles concernant l’appel d’offres etc. et les dispositions juridiques chinoises pertinentes. Il est à espérer que la Chine et la Tunisie, par le biais de consultations amicales, en tenant pleinement compte des préoccupations des deux parties, trouveront des solutions en vue de favoriser le renforcement de la coopération entre les deux pays.
La Chine est le numéro un mondial dans la fabrication des véhicules électriques et des panneaux solaires. Peut-on espérer des investissements en Tunisie dans le cadre de joint-ventures tuniso-chinoises dans ces secteurs vitaux?
De janvier à septembre 2024, la production chinoise de véhicules à énergie nouvelle a atteint 8 316 300 unités, soit une hausse de plus de 30 % par rapport à l’année précédente. Un véhicule sur quatre nouvellement produit est un véhicule à énergie nouvelle. Sur ce total, 930 000 véhicules à énergie nouvelle ont été exportés, soit une augmentation de 12,5 % par rapport à l’année précédente. Les entreprises chinoises de véhicules à énergie nouvelle ont exporté leurs produits dans 183 pays du monde, dont la Tunisie, où BYD a déjà lancé cinq modèles de véhicules électriques.
Dans le domaine de l’énergie solaire, jusqu’en juin 2024, la capacité cumulée des cellules solaires chinoises connectées au réseau atteint 710 millions de kilowatts.
Les entreprises chinoises ont accumulé de solides avantages technologiques et une riche expérience de production dans les domaines des véhicules à énergie nouvelle et de l’énergie solaire photovoltaïque.
Nous avons également remarqué que la Tunisie attache une grande importance au développement des industries des véhicules électriques et de l’énergie solaire photovoltaïque. De même qu’elle a lancé une série de programmes de développement et de politiques de soutien.
Les véhicules électriques sont totalement exonérés des droits d’importation et des taxes sur les émissions. Quant à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), elle a été ramenée à 7 %, contre 19 % pour les véhicules conventionnels.
Actuellement, la transition énergétique verte, la conservation de l’énergie et la réduction des émissions sont devenues un consensus important entre les pays du monde entier pour lutter contre le changement climatique. Et le gouvernement tunisien a fait de la transition énergétique verte un pilier important pour réaliser le développement durable. La Tunisie importe chaque année de grandes quantités de produits énergétiques, pourtant, ses conditions géographiques naturelles uniques lui offrent un grand potentiel pour le développement des énergies renouvelables. Nous attendons du gouvernement tunisien qu’il lance davantage de politiques préférentielles et crée un meilleur environnement commercial dans le domaine du développement des véhicules électriques et de l’industrie solaire photovoltaïque. Et ce, afin d’attirer plus d’entreprises chinoises à investir et à mener la coopération en Tunisie.
Nous attendons du gouvernement tunisien qu’il lance davantage de politiques préférentielles et crée un meilleur environnement commercial dans le domaine du développement des véhicules électriques et de l’industrie solaire photovoltaïque, afin d’attirer plus d’entreprises chinoises à investir et à mener la coopération en Tunisie.
Il y a peu d’entreprises chinoises installées en Tunisie alors même que le pays est lié par un traité de libre-échange avec l’UE. Quelles en sont les raisons : manque d’attractivité du Site Tunisie, climat des affaires, fiscalité, procédure administrative, problèmes de change…?
La Tunisie a à son avantage d’être un pont entre l’Europe et l’Afrique et une porte d’entrée vers l’Afrique subsaharienne. Par contre, à cause de la distance géographique qui éloigne la Chine de la Tunisie, les entreprises chinoises ne connaissent pas beaucoup la Tunisie. Le gouvernement chinois encourage les entreprises chinoises à effectuer des visites sur le terrain tunisien pour étudier en profondeur les lois et règlements et l’environnement commercial, afin de réunir les conditions nécessaires à la poursuite des investissements et au développement des activités.
La Chine est prête à négocier et conclure dans les meilleurs délais l’Accord-cadre de partenariat économique pour le développement partagé avec la Tunisie, promouvoir des arrangements plus flexibles et plus pragmatiques de libéralisation et de facilitation du commerce et de l’investissement, et élargir de son initiative l’ouverture de son marché à la Tunisie, afin de fournir une garantie institutionnelle durable, stable et prévisible à la coopération économique et commerciale entre la Chine et la Tunisie.
La Chine est prête à négocier et conclure dans les meilleurs délais l’Accord-cadre de partenariat économique pour le développement partagé avec la Tunisie, promouvoir des arrangements plus flexibles et plus pragmatiques de libéralisation et de facilitation du commerce et de l’investissement, et élargir de son initiative l’ouverture de son marché à la Tunisie, afin de fournir une garantie institutionnelle durable, stable et prévisible à la coopération économique et commerciale entre la Chine et la Tunisie.
Un sommet très important des BRICS est sur le point de se tenir à Kazan, en Russie. La liste des pays qui attendent à la porte s’allonge de plus en plus. Quels sont d’après vous les critères qui déterminent l’acceptation des demandes d’adhésion?
Depuis la proposition chinoise du « BRICS+ » et l’élargissement des partenaires des BRICS pour la première fois à l’échelle mondiale en 2017, jusqu’à l’élargissement historique des membres des BRICS, la coopération des BRICS est de plus en plus populaire, influente et attrayante.
Cette année, les dirigeants des pays BRICS élargis se rencontrent pour la première fois. La communauté internationale y accorde une grande attention. Le président Xi Jinping participera à cette rencontre et prononcera un discours important. Il aura des échanges approfondis avec les dirigeants sur la situation internationale, la coopération pratique des BRICS, le développement du mécanisme des BRICS et d’importantes affaires d’intérêt commun.
Grâce aux efforts conjoints de toutes les parties, les pays BRICS sont devenus de jour en jour une force importante pour façonner l’ordre international et préserver la stabilité mondiale. Le mécanisme de coopération des BRICS est devenu une plateforme importante pour le renforcement de la solidarité et de la coopération et la sauvegarde des intérêts communs pour les marchés émergents et les pays en développement. On peut dire que c’est le mécanisme le plus central représentant le « Sud global ».
La Chine est prête à collaborer avec toutes les parties pour promouvoir une coopération continue des BRICS élargis, ouvrant une nouvelle ère d’union et de développement des pays du Sud global, afin d’apporter une contribution conjointe à la paix et au développement du monde entier.
Grâce aux efforts conjoints de toutes les parties, les pays BRICS sont devenus de jour en jour une force importante pour façonner l’ordre international et préserver la stabilité mondiale. Le mécanisme de coopération des BRICS est devenu une plateforme importante pour le renforcement de la solidarité et de la coopération et la sauvegarde des intérêts communs pour les marchés émergents et les pays en développement. On peut dire que c’est le mécanisme le plus central représentant le « Sud global ».
La « dédollarisation » des échanges commerciaux dans le monde est entamée depuis un certain temps. Le sommet de Kazan va-t-il accélérer le processus?
En tant que plateforme importante de coopération entre les marchés émergents et les pays en développement, les BRICS se sont toujours engagés à défendre le multilatéralisme, à participer activement à la gouvernance économique mondiale et à promouvoir un ordre international plus juste et plus rationnel. Les 10 pays BRICS, représentant environ 30 % du produit intérieur brut (PIB) mondial, près de la moitié de la population mondiale et un cinquième du commerce mondial, deviennent progressivement une force constructive dans la promotion de la croissance économique mondiale, l’amélioration de la gouvernance planétaire et la démocratisation des relations internationales.
Nous espérons que le sommet de Kazan remportera de nouveaux progrès dans des domaines comme la finance et l’intelligence artificielle, qu’il donnera de la vigueur et de l’élan au développement mondial, pour faire entendre la voix de l’époque en faveur de l’équité et de la justice et de la promotion du développement commun.
En tant que pionniers du Sud global, les BRICS devraient contribuer à la promotion d’un monde multipolaire égal et ordonné et d’une mondialisation économique inclusive et bénéfique pour tous, favoriser la réforme de la structure financière internationale. Ils soutiennent la pleine participation des pays du Sud aux prises de décisions économiques, à la gouvernance et à l’élaboration des règles internationales, renforçant ainsi leur voix et représentation. Il faut résister aux contre-courants tels que la construction de « petites cours avec de hauts murs », ainsi que « le découplage et la rupture des chaînes industrielles et d’approvisionnement ». Toutes les parties doivent s’opposer à toutes les formes d’unilatéralisme et de protectionnisme, sauvegarder les droits et les intérêts légitimes du Sud global en matière de développement.
Nous espérons que le sommet de Kazan remportera de nouveaux progrès dans des domaines comme la finance et l’intelligence artificielle, qu’il donnera de la vigueur et de l’élan au développement mondial, pour faire entendre la voix de l’époque en faveur de l’équité et de la justice et de la promotion du développement commun.
Depuis un an, Israël est en train de commettre un génocide à Gaza et depuis quelques semaines mène des raids meurtriers et destructeurs au Liban dans l’impunité la plus totale. Quelle est la position de la Chine vis-à-vis de ces désastres qui ensanglantent le Moyen-Orient?
Depuis le début du conflit palestino-israélien en octobre de l’année dernière, une série de bouleversements au Moyen-Orient ont fait plus de 100 mille victimes civiles et provoqué le déplacement de millions de personnes. Ces dernières semaines, les tensions entre le Liban et Israël ont fortement augmenté. Les impacts négatifs du conflit palestino-israélien actuel se sont clairement propagés.
La partie chinoise est profondément préoccupée par les troubles au Moyen-Orient. Elle exhorte toutes les parties concernées, en particulier Israël, à mettre effectivement en œuvre les résolutions pertinentes de l’Assemblée générale et du Conseil de Sécurité des Nations Unies, à cesser immédiatement ses opérations militaires à Gaza et ses activités illégales de colonisation en Cisjordanie. Nous exhortons Israël à renoncer à violer la souveraineté et l’intégrité territoriale du Liban et à stopper des comportements aventureux, qui pourraient entraîner la région dans un nouveau désastre.
La Chine considère que la priorité absolue est d’instaurer un cessez-le-feu immédiat, complet et permanent, de parvenir à la libération de tous les otages dans la bande de Gaza et de garantir l’aide humanitaire. La solution ultime consiste à ramener la question palestinienne sur la voie d’un règlement politique et à parvenir à une solution globale, juste et durable sur la base de la « solution à deux États ». Le Moyen-Orient est incapable de se permettre une guerre à grande échelle et le conflit ne peut pas continuer à s’étendre. Toutes les parties doivent gérer la situation actuelle avec une attitude calme, rationnelle et responsable dans l’intérêt de la paix et de la stabilité dans la région, et faire des efforts sincères pour briser le cycle de la violence.
La partie chinoise ne souhaite pas voir une escalade des tensions régionales et continuera à faire preuve de sens du devoir en tant que grand pays responsable. De même que notre pays abordera la question en fonction de ses mérites propres, renforcera sa communication avec toutes les parties concernées, construira un consensus international plus large, mettra en commun les forces de toutes les parties et jouera un rôle constructif dans l’apaisement du conflit.
L’Iran est un partenaire stratégique pour la Chine avec lequel elle entretient des relations économiques et énergétiques très importantes. Israël tente désespérément d’entrainer les Etats-Unis dans une guerre avec l’Iran en multipliant les provocations contre ce pays. Que fait la Chine, pour éviter qu’une telle guerre n’éclate, sachant que le pétrole iranien est vital pour l’économie chinoise?
La Chine a toujours préconisé le recours au dialogue et aux consultations pour résoudre les questions critiques, et s’oppose à l’exacerbation des tensions, à l’expansion des conflits et à l’aventurisme militaire, appelant toutes les parties à faire plus d’efforts pour préserver la paix et la stabilité régionales.
La partie chinoise est heureuse de voir le gouvernement iranien conduire une diplomatie de médiation, renforcer la compréhension mutuelle avec toutes les parties et améliorer ses relations avec les pays de la région.
La Chine n’a aucun intérêt égoïste dans les affaires au Moyen-Orient et ne s’engagerait jamais dans aucune lutte géopolitique. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la Chine a toujours été du côté de la paix, du droit international et de la vérité. Et elle continuera de jouer un rôle constructif dans la désescalade de la situation et le rétablissement de la paix dans la région.
La Chine n’a aucun intérêt égoïste dans les affaires au Moyen-Orient et ne s’engagerait jamais dans aucune lutte géopolitique. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la Chine a toujours été du côté de la paix, du droit international et de la vérité. Et continuera de jouer un rôle constructif dans la désescalade de la situation et le rétablissement de la paix dans la région.
Interview réalisée par Hmida Ben Romdhane et Mohamed Ali Berjeb