La nécessité de mener des actions stratégiques ciblées pour la gestion des risques agricoles a été soulevée par une « Etude d’évaluation des risques dans les chaînes de valeur (CdV) céréalière et oléicole en Tunisie » récemment publiée par la Plateforme pour la gestion des risques agricoles (PARM). Une initiative commune du G20 et le ministère de l’Agriculture, des Ressources Hydrauliques et de la Pêche.
A l’issue de l’évaluation holistique des risques dans la chaîne de valeur céréalière en Tunisie, un ensemble de 26 risques systémiques (incluant des risques de production, de marché, de prix et financiers, logistiques et institutionnels) a été identifié. Cette analyse révèle que les principaux risques pesant sur le développement de la chaîne de valeur céréalière sont climatiques : le raccourcissement du cycle de développement; la sécheresse sévère à extrême de la saison agricole; et l’avancement de la date de maturation des céréales.
Ainsi, pour l’ensemble des céréales, le raccourcissement du cycle de développement constitue le principal risque ayant un impact négatif sur la production tunisienne. La fréquence de ce risque est d’environ 16,7 %. Et lorsqu’il survient, il entraîne une chute moyenne de la production de l’ordre de 372 000 tonnes, soit une perte de 473 MD (152 millions USD). La perte maximale pourrait atteindre 665 000 tonnes, représentant une perte d’environ 823 MD (264 millions USD).
La sécheresse agricole sévère à extrême a une probabilité d’occurrence de 16,7 %. Ce risque entraîne une perte moyenne de 344 000 tonnes de récoltes en Tunisie, soit un coût de près de 393 MD (127 millions USD). La perte maximale causée par la sécheresse sévère à extrême peut atteindre 605 000 tonnes, avec un coût d’environ 691 MD pour l’ensemble de la production céréalière (232 millions USD).
Quant au risque d’avancement de la date de maturation, il a une probabilité d’occurrence de 14,3 %. Ce risque peut engendrer une perte de production moyenne de 556 000 tonnes, soit une perte moyenne de 679 MD (219 millions USD).
En termes de vulnérabilité, les agriculteurs et les collecteurs émergent comme les maillons les plus vulnérables de la chaîne de valeur céréalière. Leur vulnérabilité découle principalement de leur forte exposition aux risques climatiques pour les agriculteurs et des risques liés aux intrants agricoles pour les collecteurs. De plus, la capacité limitée de ces acteurs à gérer ces risques rend la chaîne de valeur céréalière particulièrement sensible aux aléas de production.
Risques pesant sur la chaîne de valeur oléicole
Pour la chaîne de valeur oléicole, 21 risques ont été recensés. La priorisation montre que les risques pesant sur le développement de cette chaîne de valeur sont principalement la non-satisfaction des besoins en froid des oliviers, la sécheresse agricole et la hausse des prix à la production des olives. Ainsi, la probabilité d’une diminution du pourcentage de zones d’oliveraies en Tunisie où les besoins en froid des oliviers ne sont pas comblés est estimée à environ 17,1%.
Ce risque de non-satisfaction des besoins en froid pourrait résulter en une perte moyenne de 305 mille tonnes de récoltes en Tunisie, équivalant à une baisse de près de 37,7 % de la production nationale d’olives à huile. Cette perte moyenne entraînerait un coût estimé à environ 1 155 MD (372 millions USD). La perte maximale résultant de ce risque pourrait atteindre 757 mille tonnes. Ce qui équivaudrait à un coût maximal de 2 866 MD (924 millions USD).
De son côté, la sécheresse sévère a extrême a une probabilité d’occurrence qui se situe autour de 24,4 % et pourrait entrainer en moyenne une perte de 354 mille tonnes, pour un coût de près 1 338 MD (431 millions USD). La perte maximale causée par cette sécheresse pourrait atteindre 737 mille tonnes, avec un coût d’environ 2 789 MD (899 millions USD).
Dans la filière oléicole, les producteurs ne sont pas les seuls acteurs touchés par les risques. Ils subissent le plus durement les risques climatiques. Mais les risques de marché concernent au moins autant les acteurs de l’aval : risques de non-disponibilité des intrants et de chute des prix des olives pour les producteurs; risques de hausse des prix des olives pour les collecteurs et les oléifacteurs; risque de chute des prix de l’huile à l’export; et risque de pertes de parts de marché pour les exportateurs.
Nécessité d’actions stratégiques ciblées pour la gestion des risques agricoles
L’étude indique que la gestion des risques agricoles en Tunisie requiert des actions stratégiques ciblées pour les deux chaînes de valeur. Lesquelles actions sont plus efficaces lorsqu’elles sont mises en œuvre conjointement plutôt que séparément.
Pour la CdV céréalière, il est crucial de développer des produits d’assurance climatique innovants, répondant aux risques croissants liés à l’augmentation des températures, qui affectent la productivité et la rentabilité agricole. De plus, le renforcement de l’approvisionnement en semences adaptées et résistantes aux conditions climatiques changeantes est essentiel pour améliorer la productivité et la résilience des cultures. La promotion de l’agroécologie à travers une collaboration étroite entre la recherche et la vulgarisation agricole aidera à diffuser les pratiques durables et innovantes.
S’agissant de la CdV oléicole, la création d’un groupement interprofessionnel est recommandée pour améliorer la coordination entre les différents acteurs, développer des normes de qualité, et promouvoir l’innovation. La mise en place d’un observatoire des marchés et des prix permettra de renforcer la transparence, stabiliser les revenus des producteurs et encourager l’adoption de pratiques agricoles modernes. Une assurance spécifique pour les risques climatiques liés à la hausse des températures et aux besoins en froid est également nécessaire pour protéger les oléiculteurs et améliorer la résilience de la chaîne de valeur.
Les actions transversales pour la gestion des risques agricoles comprennent l’investissement dans des systèmes d’observation et d’information climatique pour permettre une gestion efficace des risques.
Par ailleurs, il est essentiel de créer un environnement propice aux investissements privés en actualisant le cadre réglementaire et en renforçant les subventions pour des pratiques agricoles durables et l’efficacité des systèmes d’irrigation. Le renforcement des interventions du Fonds d’indemnisation des dommages agricoles causés par les calamités naturelles (FIDAC) est aussi crucial pour protéger les agriculteurs contre les aléas climatiques et assurer leur stabilité financière.
L’étude aborde enfin les défis sociaux au niveau des deux chaînes de valeur. Et notamment les conditions difficiles des femmes, le déclin de l’attrait des jeunes pour l’agriculture et le vieillissement de la main-d’œuvre agricole.