Dans une interview révélatrice, Abderrazek Houas, porte-parole de l’Association nationale pour les petites et moyennes entreprises (ANPME), dresse un tableau préoccupant de la situation des PME et PMI en Tunisie. Représentant 97,5 % du tissu économique national et employant 80 % des demandeurs d’emploi, ces entreprises jouent un rôle essentiel dans le développement du pays. Cependant, M. Houas met en lumière des défis majeurs, notamment un accès difficile au financement, dominé par un cadre législatif obsolète qui ne favorise pas leur croissance. Il aborde également la problématique de la microfinance, souvent jugée inadaptée, et évoque les récentes modifications de la loi sur les chèques, soulignant à la fois des avancées et des lacunes. L’interview met également en exergue la nécessité urgente de réformes structurelles pour soutenir et pérenniser les PME tunisiennes dans un environnement économique en mutation.
Comment évaluez-vous la situation des PME et PMI en Tunisie, particulièrement dans le contexte actuel?
D’après un rapport de la Banque mondiale publié en 2020, les PME et PMI représentent 97,5 % du tissu économique tunisien et emploient 80 % des demandeurs d’emploi. Cela souligne leur rôle crucial en tant que moteur du développement économique du pays. Cependant, le cadre dans lequel elles évoluent n’est pas propice à leur croissance. Aujourd’hui, les chefs de PME sont confrontés à certaines personnes, bien connectées, qui concentrent tout le pouvoir économique. Un rapport de l’OCDE montre, par exemple, que trois grandes agglomérations contrôlent environ 70 % du financement bancaire. Or, les PME ont un besoin crucial de ce type de financement pour se développer, mais il leur est difficile d’y accéder.
Par ailleurs, les PME, contrairement aux grands groupes, manquent généralement de garanties à offrir pour obtenir des prêts. En Tunisie, le financement à risque fourni par les banques est quasiment inexistant. Dans d’autres pays, un entrepreneur présentant un projet rentable peut obtenir un financement si la banque juge le projet viable, partageant ainsi le risque avec lui. Ici, même si le projet est prometteur, l’accès au crédit reste compliqué.
La microfinance est-elle une solution?
C’est un sujet à part. À mon avis, la microfinance ressemble davantage à un investissement dans la pauvreté. De nombreuses petites et moyennes entreprises (PME) se sont retrouvées en difficulté à cause des crédits contractés auprès de structures de microfinance. Notre association a reçu plusieurs plaintes de clients.
Prenons un exemple concret : un chômeur a souscrit un crédit pour acheter un camion et se lancer dans le transport. Le prêt avait un taux d’intérêt cumulé de 45 %. En guise de garantie, il a mis en hypothèque la maison héritée de son père. Mais en analysant les coûts, il est évident que son activité ne peut générer suffisamment de revenus pour couvrir le crédit, en tenant compte de l’amortissement du camion, du carburant, des pièces de rechange, des réparations et
des échéances.
Certains clients hypothèquent leur voiture pour obtenir un microcrédit, mais là aussi surgit un problème juridique. L’hypothèque d’un véhicule doit légalement être de cinq ans, alors que la durée de remboursement du microcrédit est souvent de deux à trois ans. Comment peut-on hypothéquer une voiture pour cinq ans alors que le prêt doit être remboursé en moins de temps?
Il est donc essentiel de mettre en place un organe de contrôle pour les activités des institutions de microfinance, en particulier concernant les taux d’intérêt et l’application des lois. Cela inclut également une meilleure régulation des tableaux d’amortissement et d’autres pratiques bancaires. Il devient alors primordial de revoir tout le système de financement, en l’accompagnant d’un organisme de surveillance rattaché à la Banque centrale pour garantir des pratiques équitables et transparentes.
Votre association formule également d’autres critiques à propos du cadre législatif régissant l’activité économique et financière.
Effectivement. La majorité des lois qui régissent l’activité économique en Tunisie datent de l’Indépendance, et certaines remontent même à l’époque beylicale. Ces lois, héritées de la France, ont été révisées et modernisées dans ce pays, mais malheureusement, cela n’a pas été le cas en Tunisie. Ici, l’activité économique est pénalisée. Quel pays dispose encore d’un code de commerce contenant des sanctions privatives de liberté? Le code des obligations et des contrats (COC), par exemple, n’a pas été révisé depuis 1906. Pourquoi ne disposons-nous pas d’un code monétaire, comme c’est le cas dans d’autres pays africains? Nous avons 267 articles relatifs à l’activité bancaire, dispersés dans différents codes. Le code des changes est également devenu obsolète. Dans presque tous les pays, les sanctions privatives de liberté liées à l’économie et à l’investissement ont été révisées, sauf chez nous.
Aux États-Unis, par exemple, il existe un cadre législatif spécifique pour les entreprises en difficulté. Le chapitre 11 de la loi sur les faillites permet aux entreprises de se réorganiser, tout en restant sous la protection de cette loi. Cela leur permet de conserver leurs actifs et de s’opposer aux créanciers dès l’ouverture de la procédure. En Tunisie, nous n’avons pas de cadre législatif pour soutenir les entreprises en difficulté.
Tant qu’une réforme du cadre législatif ne sera pas mise en place, rien ne changera. Je tiens à souligner que le taux de mortalité des entreprises en Tunisie est de 39 %. Ce chiffre est bien plus préoccupant que le nombre de créations d’entreprises. Les entreprises qui ferment représentent une perte en termes de croissance économique. La vraie question à se poser est : pourquoi ces entreprises ferment-elles?
L’intégralité de cette interview est actuellement disponible dans l’édition spéciale finance d’octobre 2024 de l’Economiste Maghrébin, en kiosque.