L’économie tunisienne traverse une phase complexe où, au 31 octobre 2024, l’amélioration de certains indicateurs économiques contraste avec des défis structurels persistants.
Une analyse détaillée révèle les points forts, les faiblesses, et les perspectives à court et moyen terme pour une économie qui cherche à renforcer sa résilience face aux pressions internes et externes.
(Sources : https://www.bct.gov.tn/bct/siteprod/indicateurs.jsp )
Comptes du Trésor et liquidité bancaire : des signes de renforcement
L’amélioration notable du compte courant du Trésor tunisien, qui a atteint 1 315,1 millions de dinars (MDT) contre 599,6 MDT en 2023, représente une hausse significative de 119,4 %.
Remarques :
– Ce résultat reflète une gestion budgétaire plus stricte et/ou une augmentation des recettes fiscales, signe encourageant pour les finances publiques.
– Corrélativement, le compte courant ordinaire des banques s’est également renforcé, atteignant 274,3 MDT, illustrant une meilleure disponibilité de liquidité dans le secteur bancaire.
Par ailleurs, les billets et monnaies en circulation ont augmenté pour atteindre 21 928 MDT, traduisant une demande accrue de liquidités dans l’économie.
Remarques : cette progression pourrait être liée à une pression inflationniste persistante nécessitant une vigilance accrue afin de limiter un excès de liquidité, qui risquerait d’alimenter davantage l’inflation.
La politique de refinancement et le marché monétaire : contrôle de la liquidité par la Banque centrale
La Banque centrale de Tunisie (BCT) a continué d’intervenir sur le marché monétaire pour stabiliser la liquidité. Le volume des appels d’offres reste à 3 700 MDT, tandis que les opérations de refinancement à long terme atteignent 717 MDT.
En revanche, le total des financements de la BCT est en baisse de 1 220,4 MDT par rapport à 2023. Ce qui signale une stratégie de réduction du soutien monétaire pour freiner l’inflation.
Le taux directeur de la BCT demeure stable à 8 %, et le taux du marché monétaire est quasiment inchangé à 7,99 %.
Remarques : la diminution des prêts interbancaires témoigne d’une prudence des institutions financières, reflet des incertitudes économiques actuelles et de la gestion stricte de l’inflation par la BCT.
Le financement par les Bons du Trésor et la gestion de la dette publique : montée en puissance
Pour satisfaire ses besoins budgétaires, l’État tunisien continue de recourir aux Bons du Trésor Assimilables (BTA), dont l’encours a augmenté de 1 090,4 MDT par rapport à l’an passé, atteignant 17 214,8 MDT.
Remarques :
– Cette montée en puissance de la dette intérieure met en lumière la dépendance de l’État aux financements domestiques, alors que le coût cumulé du service de la dette extérieure a atteint un niveau critique de 12 562 MDT, en hausse par rapport à l’an passé.
– Ce contexte impose des réformes budgétaires significatives pour garantir la viabilité des finances publiques et réduire le déficit budgétaire sur le moyen terme.
Avoirs en devises et taux de change : résilience du dinar mais pressions sur les réserves
Les avoirs nets en devises de la BCT se stabilisent à 24 468,9 MDT, couvrant 111 jours d’importation. Malgré cette stabilité, la légère baisse de la couverture des importations par les exportations est un signe de pression continue sur les réserves en devises, accentuée par la dépréciation du dinar par rapport au dollar.
Remarques : cette situation pourrait exposer le pays à une hausse des coûts d’importation, générant ainsi de l’inflation importée, en particulier pour les produits de première nécessité.
Croissance des recettes touristiques et revenus du travail : une relance inégale
Les recettes touristiques et les transferts de fonds des travailleurs tunisiens à l’étranger montrent une progression modeste avec respectivement 5 980 MDT (+6,3 %) et 6 357 MDT (+2,3 %), d’une année à l’autre.
Remarques : ces chiffres témoignent d’une reprise relative des secteurs essentiels au soutien de la balance des paiements, bien qu’insuffisante pour compenser la pression exercée par les besoins en devises pour le remboursement de la dette extérieure.
Perspectives à court et moyen terme : des réformes aux partenariats stratégiques
- Une politique monétaire prudentielle :
La BCT adopte une approche prudente, limitant ses interventions pour contrôler l’inflation tout en stabilisant la liquidité. Cependant, si la pression inflationniste persiste, des ajustements de taux d’intérêt pourraient devenir nécessaires pour freiner la demande de liquidités, au risque de contrecarrer la relance.
- Une réduction du fardeau de la dette publique :
La hausse de la dette extérieure et du recours aux BTA accentue la vulnérabilité budgétaire. Une restructuration budgétaire et des réformes structurelles sont essentielles pour contenir le déficit et garantir la viabilité de la dette à moyen terme.
- Stabilité du dinar et risques d’inflation importée :
Bien que le dinar reste relativement stable, l’augmentation des importations pourrait fragiliser cette stabilité. La BCT devrait surveiller de près les fluctuations du taux de change pour équilibrer la stabilité de la devise tout en prévenant l’inflation importée.
- Valorisation des recettes touristiques et des transferts :
Les recettes touristiques et les transferts des travailleurs à l’étranger jouent un rôle clé dans le soutien des réserves en devises. Une croissance plus robuste de ces secteurs serait un atout pour amortir la pression budgétaire et monétaire.
- Consolidation des avoirs en devises :
La baisse des réserves de devises reste une menace. Il est donc déterminant de mettre en place des politiques incitant aux investissements directs étrangers et de diversifier les exportations, notamment vers les pays membres des BRICS, pour renforcer les réserves.
En définitive, des adaptations et des réformes sont nécessaires pour une résilience renforcée :
- À court terme, la Tunisie fait face à des défis budgétaires et monétaires complexes. Des politiques de contrôle de la liquidité, alliées à des réformes budgétaires, sont essentielles pour gérer la pression sur la dette et stabiliser l’économie.
- À moyen terme, un partenariat stratégique avec des blocs économiques émergents, comme les BRICS, pourrait offrir des opportunités de diversification des sources de devises et de renforcement des investissements dans les infrastructures. Une vision économique intégrée et des réformes structurelles, combinées à une gestion rigoureuse des finances publiques, renforceront la résilience de l’économie tunisienne face aux aléas économiques globaux.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)