Pour le président de la République Kaïs Saied, les perturbations sur les vols de Tunisair du weekend dernier à l’aéroport Tunis-Carthage, où des passagers ont été bloqués pendant plus de 48 heures, sont dues à « des actions délibérées orchestrées par des groupes d’intérêt ».
Mais que se passe-t-il de si alarmant chez Tunisair pour que son dossier figure au menu du Conseil de sécurité nationale? Et de si fâcheux pour que l’enfer qu’auront vécu des passagers dans les aéroports tunisiens soit étalé dans la presse étrangère? Une crise majeure qui aura nui à la réputation de la compagnie aérienne nationale de la Tunisie qui fêtera le 21 octobre son 76ème anniversaire; et par ricochet écorné l’image de notre pays.
Sachant que la compagnie aérienne s’est fendue, lundi 4 octobre, d’un communiqué dans lequel elle présente « ses excuses pour les désagréments subis par les passagers et ses partenaires » Et ce, suite aux « perturbations de ses vols des 1, 2, 3 et 4 novembre 2024, causées par des problèmes techniques soudains affectant plusieurs de ses avions ».
Prise d’otages
« C’est une prise d’otages », titrait lundi 4 octobre le quotidien niçois Nice-Matin qui décrit en détail le calvaire de dizaines de Français et de Franco-Tunisiens coincés plusieurs jours à l’aéroport de Tunis-Carthage. Et ce, après que la compagnie aérienne Tunisair a annulé des vols retour, sans prendre la peine d’en avertir ses clients.
« J’ai vu des gens en venir presque aux mains. Les gens hurlent, certains sont très énervés », témoigne Léa Serrano, une passagère, à Nice-Matin; alors qu’elle est partie en famille en Tunisie pendant la deuxième semaine de la trêve automnale. Avec plusieurs Niçois et de nombreux autres Français et Franco-Tunisiens, elle a eu la désagréable surprise d’être coincée plusieurs jours à l’aéroport de Tunis-Carthage à cause de dysfonctionnements de la compagnie aérienne publique tunisienne Tunisair.
Et de narrer ses déboires : « Après un vol Djerba-Tunis qui s’est bien passé, nous étions censés embarquer le dimanche 3 novembre à 13h20 à bord du Tunis-Nice. On n’a jamais reçu de mail ou de SMS. Et, une fois à l’aéroport, les panneaux d’affichage indiquaient que notre vol avait été repoussé au lendemain à 7h. »
Rien de grave à ce stade, il fallait juste passer la nuit dans un hôtel payé par la compagnie aérienne. Problème : « Le taxi pour s’y rendre était à notre charge. Et cet hôtel était dégoûtant : des cafards, des poils et des cheveux dans les draps ».
« J’ai vu des gens en venir presque aux mains, abonde Léa. Les gens hurlent, pour nous ça ne fait que 36 heures d’attente; mais certains sont très énervés ». La petite famille de quatre doit également payer tous ses repas sur place.
« Nous sommes le dernier vol de la journée et nous ne savons pas s’il décollera vraiment. De toute façon, il y a trop de monde en train d’attendre ici autour de moi pour que l’on rentre tous ce soir à Nice. Une personne à l’ambassade a carrément employé l’expression « prise d’otages de la compagnie » pour qualifier ce qui nous arrivait », poursuit-elle.
« Ils ne sont pas près d’oublier leurs vacances de la Toussaint à Djerba », conclut le quotidien français.
« Un acte criminel »
« C’est un acte criminel dont sont responsables non seulement ceux qui l’ont exécuté mais aussi ceux qui l’ont planifié ». Ainsi a réagi le président de la République Kaïs Saied aux récents incidents ayant paralysé les opérations de Tunisair le weekend dernier; quand des centaines de passagers se sont retrouvés bloqués dans les aéroports de Tunis et de Lyon.
Ainsi, les perturbations du weekend dernier sont-elles motivées par des « problèmes techniques soudains » comme l’affirme la compagnie nationale?
Non répond le chef de l’Etat qui présidait lundi 4 novembre 2024 la réunion du Conseil de sécurité nationale consacrée notamment à la lutte contre la corruption, l’envolée des prix, les moyens de lutte contre la spéculation; ainsi qu’à la situation des migrants irréguliers dans la région de Sfax. Ces perturbations sont dues à « des actions délibérées orchestrées par des groupes d’intérêt », a-t-il martelé.
Et de fustiger « les manœuvres des réseaux tentaculaires de lobbies qui ont réussi à noyauter les rouages de l’Etat avec leurs ramifications dans de nombreuses administrations et entreprises publiques ». Tout en appelant à les démanteler et à traduire les responsables en justice.
En effet, pour le locataire du palais de Carthage, la crise de Tunisair est une parfaite illustration de « la mainmise » de certains groupes d’intérêt sur les entreprises publiques tunisiennes. Une « guerre sacrée » de la lutte contre la corruption qu’il s’est engagée à mener « avec la plus grande fermeté ».
Le passé éclaire le présent
Notons enfin que le transporteur national croule sous le poids des dettes et fait face à des suspicions de corruption qui ne datent pas d’aujourd’hui.
Ainsi, lors de la visite non annoncée à l’aéroport de Tunis-Carthage que le président de la République avait effectuée au mois d’avril 2024, plusieurs dossiers relatifs à la cession d’engins à des prix dérisoires, au trafic de pièces de rechange, au cas de l’avion Amilcar, « parti de Tunisie en 2017, et qui n’est toujours pas revenu », ainsi qu’aux recrutements de manière illégale par le biais de faux diplômes abusifs, ont été pointés.
S’en est suivi l’arrestation et le placement en détention du PDG de la Tunisair, Khaled Chelly durant la nuit du 30 au 31 juillet 2024 Et ce, dans le cadre d’une enquête ayant visé le secrétaire général du syndicat de base de la compagnie aérienne, Najmeddine Mzoughi. Ce dernier a été interpellé par les forces de l’ordre alors qu’il se préparait à fuir vers la Libye.