L’arrestation très médiatisée en Algérie, samedi 16 novembre, de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal s’inscrirait dans le contexte du contentieux territorial entre l’Algérie et le Maroc. Explications.
L’information occupe désormais la Une des médias français. Le romancier et essayiste franco-algérien Boualem Sansal, 75 ans- qui avait reçu le Grand prix du roman de l’Académie française en 2015 devenant depuis cette année-là une véritable figure médiatique- est depuis près d’une semaine en garde à vue dans les locaux des services de sécurité à Alger dans l’attente d’être présenté devant le procureur de la République.
Selon les dernières informations, l’auteur du roman 2084 : La fin du monde dont l’œuvre a été récompensée par de nombreux prix littéraires en France et à l’étranger a été interpellé samedi 16 novembre à Dar El Beida, à l’est d’Alger, par des agents de la Direction générale de la sécurité intérieure algérienne. Et il devrait être présenté bientôt devant un procureur de la République d’Alger ou de Boumerdès, ville située à une cinquantaine de kilomètres de la capitale, où réside Boualem Sansal.
Mêmes si l’interpellation de l’écrivain n’a pas encore été annoncée officiellement par les autorités algériennes, l’écrivain pourrait être poursuivi pour, entre autres, « atteinte à l’unité nationale et à l’intégrité territoriale du pays » et « incitation à la division du pays ». Des chefs d’inculpation passibles de peines de prison, selon le Code pénal algérien.
Inquiétudes
Le président français Emmanuel Macron, qui selon les services de l’Elysée, a exprimé « son attachement indéfectible à la liberté d’un grand écrivain et intellectuel », s’est dit « très inquiet » de la situation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal.
« Il incarne tout ce que nous chérissons : l’appel à la raison, à la liberté et à l’humanisme contre la censure, la corruption et l’islamisme », a réagi l’ex-Premier ministre Edouard Philippe sur X. Tout en lançant un appel aux « autorités françaises et européennes pour obtenir des informations précises et faire en sorte qu’il puisse circuler librement et revenir quand il le souhaitera en France ».
Géopolitique
Mais que reproche-t-on à Alger à l’écrivain, au demeurant virulent critique de l’islamisme sans pour autant mâcher ses mots à l’égard du pouvoir algérien? Sachant que son premier roman, Le serment des barbares, raconte la montée en puissance des intégristes qui a contribué à faire plonger son pays dans une guerre civile ayant fait au moins 200 000 morts entre 1992 et 2002. Une période que la législation nationale interdit désormais d’évoquer, au prétexte d’une réconciliation de la population?
Tout porte à croire que la poursuite pénale engagée contre lui serait liée à ses récentes déclarations à l’occasion de la sortie de son nouveau livre Le français, parlons-en!, aux éditions du Cerf.
En effet, l’invité de l’émission « Frontières » déclara le 2 octobre 2024 que « quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc : Tlemcem, Oran et même jusqu’à Mascara. Toute cette région faisait partie du royaume ».
Et de poursuivre : « Le Maroc, il faut le savoir, est le pays le plus ancien dans le monde. Le Maroc existe depuis 12 siècles, la France existe depuis 1000 ans. Il existait dans sa forme actuelle avec un sultan. C’est un vieil état qui a toujours été très puissant, qui a colonisé toute l’Afrique du Nord, quasiment jusqu’à l’Égypte, qui a colonisé l’Espagne. C’est un Empire très puissant qui s’est étendu jusqu’au Sénégal. »
De toute évidence, cette déclaration choc reprise allégrement par les médias marocains est restée en travers la gorge des autorités algériennes dans un contexte de contentieux territorial entre l’Algérie et le Maroc : certains nostalgiques du Grand Maroc, ne lorgnent-ils pas sur cette région de l’ouest de l’Algérie, qu’ils surnomment « le Sahara oriental » et qui, pour eux, revient « de droit » au royaume ancestral du Maroc?
D’autre part, n’oublions pas que l’Algérie, traditionnel soutien du Front Polisario, mouvement militant pour l’indépendance du Sahara occidental, n’a pas digéré la prise de position d’Emmanuel Macron sur la question de l’ancienne colonie espagnole. En effet, le président français avait en juillet 2024 reconnu la souveraineté du Maroc sur cette bande de terre entre le sud du royaume et le nord de la Mauritanie, mettant ainsi fin à la traditionnelle politique de neutralité de son pays.
Hasard de calendrier?
A noter enfin que l’arrestation du romancier franco-algérien intervient au cœur d’une polémique lancée il y a quelques jours au sujet de Houris, roman de Kamel Daoud couronné par le Prix Goncourt 2024. Un ouvrage, qui évoque également la guerre civile algérienne et qui a valu à son auteur une accusation d’avoir exploité l’histoire d’une Algérienne, Saâda Arbane, sans son consentement.
Par ailleurs deux plaintes ont été déposées en Algérie au mois d’août dernier, quelques jours après la parution de son roman pour « diffamation des victimes du terrorisme et violation de la loi sur la réconciliation nationale ».
Faut-il encore rappeler que dans son pays d’origine, Kamel Daoud est perçu par certains comme la voix de la France, en somme « l’Arabe de service ». Paradoxalement, il paye ainsi le prix d’avoir raflé le prestigieux Prix Goncourt 2024.
Drôle de récompense…