Le groupe des BRICS, composé du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud, a longtemps été considéré comme une force montante sur la scène mondiale. Avec des économies en forte croissance et une volonté d’affirmer leur influence face aux puissances occidentales, l’idée d’une monnaie unique BRICS a suscité de nombreux débats.
Cependant, l’abandon récent de ce projet soulève des questions sur l’unité de ce bloc et sur les implications pour l’économie mondiale. Cet article propose une analyse des raisons de cet abandon, des conséquences pour les pays membres et des ramifications géopolitiques.
ZOOM 1. Les raisons de l’abandon du projet de monnaie commune
Le projet d’une monnaie unique parmi les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) a été régulièrement évoqué dans les cercles économiques et politiques. Mais il reste largement irréalisable pour plusieurs raisons.
Les défis liés à ce projet sont enracinés dans des différences structurelles, des risques financiers et des désaccords géopolitiques.
- Premier défi, la diversité économique et politique
L’hétérogénéité économique et politique entre les membres des BRICS constitue un obstacle majeur :
– Niveaux de développement variés : les BRICS regroupent des économies à des stades de développement très différents. La Chine, par exemple, est une puissance économique dominante, avec un PIB par habitant plus élevé et une industrie hautement développée. Alors que des pays comme l’Inde ou l’Afrique du Sud restent marqués par des défis sociaux et économiques significatifs, comme la pauvreté et les inégalités.
– Structures économiques divergentes : les pays BRICS ont des bases économiques distinctes. La Russie repose principalement sur les exportations de matières premières, notamment le pétrole et le gaz. Tandis que l’Inde et le Brésil sont plus axés sur l’agriculture, les services et l’industrie légère. Ces différences rendent la coordination économique et monétaire extrêmement complexe.
– Systèmes politiques incompatibles : les approches politiques varient également. La Chine, avec un modèle socialiste autoritaire, contrôle étroitement ses flux financiers et son système monétaire. À l’inverse, le Brésil et l’Inde fonctionnent sur des systèmes démocratiques plus libéraux, avec une gestion monétaire influencée par des institutions indépendantes. Ces différences limitent les possibilités d’un cadre monétaire commun.
- Deuxième défi, l’instabilité financière et le risque de change
L’instabilité économique dans plusieurs des pays BRICS complique l’idée d’une monnaie unique.
– Fluctuations des devises nationales : les devises des BRICS sont particulièrement sujettes à la volatilité. Par exemple, le rouble russe a subi de fortes dévaluations en raison des sanctions internationales et de la guerre en Ukraine. Tandis que le real brésilien est fréquemment affecté par des crises politiques internes. Une telle instabilité rend difficile la fixation de taux de conversion initiaux pour une monnaie commune.
– Risques liés aux crises économiques : certains pays des BRICS, comme l’Afrique du Sud, connaissent une fragilité économique chronique, marquée par des déficits budgétaires, une inflation élevée et un faible potentiel de croissance. Intégrer de telles économies dans une union monétaire pourrait déstabiliser l’ensemble du bloc.
– Absence de mécanismes de stabilisation : contrairement à la zone euro, les BRICS ne disposent pas d’un fonds commun ou d’une politique budgétaire intégrée pour amortir les chocs économiques asymétriques entre leurs membres. L’absence de ces mécanismes exacerbe le risque de déséquilibres.
- Le troisième défi, l’absence de consensus politique
Les divergences géopolitiques entre les membres des BRICS représentent un frein supplémentaire.
– Conflits entre membres : la rivalité sino-indienne est particulièrement significative. Les tensions frontalières récurrentes et la méfiance stratégique entre ces deux puissances limitent leur volonté de coopération. Ces divergences créent un climat peu propice à des discussions approfondies sur des projets ambitieux comme une monnaie unique.
– Vision économique contrastée : la Chine, souvent perçue comme le leader de facto des BRICS, privilégie des solutions où elle maintient une influence dominante. Cela peut être perçu comme une menace par d’autres membres, comme l’Inde ou le Brésil, qui souhaitent préserver leur souveraineté économique et politique.
– Manque d’harmonisation des priorités : les intérêts nationaux des BRICS divergent également sur des questions cruciales. Par exemple, la Russie, sous sanctions économiques, cherche des alternatives rapides pour contourner le système monétaire international dominé par le dollar. Tandis que des pays comme le Brésil ou l’Afrique du Sud, plus intégrés dans les marchés occidentaux, sont moins pressés d’adopter des mesures drastiques.
En définitive, l’abandon du projet de monnaie unique des BRICS résulte d’un mélange de contraintes structurelles, économiques, et politiques. La diversité économique et politique des membres complique la création d’un cadre monétaire homogène.
Par ailleurs, les risques financiers, amplifiés par l’instabilité de certaines devises nationales, rendent une monnaie commune peu viable. Enfin, les divergences géopolitiques et l’absence de consensus politique freinent toute initiative concertée.
Plutôt que de poursuivre l’idée d’une monnaie unique, les BRICS semblent se concentrer sur des objectifs plus pragmatiques, comme le développement d’instruments financiers pour renforcer le commerce intra-BRICS ou la dédollarisation progressive de leurs échanges.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)