ZOOM 2. Conséquences économiques pour les BRICS après l’abandon du projet de monnaie unique
L’abandon du projet de monnaie unique au sein des BRICS entraîne des conséquences significatives pour ces pays sur les plans de leur autonomie économique, de leurs relations commerciales, et de leur positionnement dans le commerce international.
- Première conséquence significative via un maintien des monnaies nationales : Une autonomie économique renforcée mais une intégration limitée
Autonomie économique renforcée :
L’abandon du projet de monnaie unique pour les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) permet à chaque pays de conserver le plein contrôle de sa politique monétaire. Cela a plusieurs implications :
– Politique monétaire indépendante : chaque pays peut ajuster ses taux d’intérêt en fonction de ses propres besoins économiques. Par exemple, le Brésil peut augmenter ses taux pour lutter contre l’inflation, tandis que l’Inde pourrait les abaisser pour stimuler la croissance. Cette flexibilité permet de répondre rapidement aux chocs économiques internes et externes.
– Gestion des réserves de change : Les pays peuvent gérer leurs réserves de change selon leurs priorités. Par exemple, la Chine, avec sa forte base d’exportations, pourrait choisir de maintenir des réserves en dollars pour stabiliser sa devise, tandis que l’Afrique du Sud pourrait se concentrer sur des réserves en rand pour soutenir sa monnaie locale.
– Réactions aux crises économiques : en période de crise, chaque pays peut mettre en œuvre des politiques adaptées à ses propres défis. Par exemple, en cas de crise alimentaire, le Brésil peut agir sur les subventions agricoles sans se soucier des implications sur une monnaie unique.
Intégration limitée :
Malgré ces avantages, le maintien des monnaies nationales présente plusieurs limitations en termes d’intégration économique :
– Coûts de transaction élevés : avec des monnaies différentes, les échanges intra-BRICS impliquent des coûts de conversion de devises et des frais bancaires. Cela peut décourager le commerce intra-groupe, qui est essentiel pour renforcer les liens économiques.
– Fluctuation des devises : les fluctuations des monnaies locales par rapport au dollar et à l’euro peuvent rendre les échanges commerciaux plus risqués. Par exemple, si le rouble russe se déprécie par rapport au dollar, cela peut rendre les produits russes moins compétitifs sur le marché international, nuisant ainsi aux exportations de la Russie vers d’autres membres des BRICS.
– Moins de coopération économique : une monnaie unique aurait pu favoriser une plus grande coopération économique et politique entre les membres des BRICS. L’absence d’une telle monnaie peut créer des rivalités et des tensions, car chaque pays poursuit ses propres intérêts économiques, ce qui nuit à l’harmonie et à la collaboration au sein du groupe.
– Exposition aux fluctuations des marchés mondiaux : les pays des BRICS restent vulnérables aux fluctuations des devises mondiales. Par exemple, en période de hausse de la valeur du dollar, les pays qui dépendent fortement des importations peuvent voir leurs coûts augmenter, ce qui peut nuire à la croissance économique.
En somme, le choix de maintenir les monnaies nationales permet aux pays des BRICS de préserver leur autonomie économique, ce qui est crucial pour gérer leurs économies diverses. Toutefois, cette autonomie vient avec des compromis, notamment en matière d’intégration économique et de compétitivité sur le marché mondial.
L’absence d’une monnaie unique pourrait limiter les opportunités d’expansion économique et de coopération entre les pays membres, rendant leur union moins cohérente à long terme. La nécessité d’une stratégie commune pour surmonter ces défis sera cruciale pour déterminer l’avenir économique des BRICS.
- Deuxième conséquence significative via un renforcement des relations bilatérales : Une alternative pragmatique mais potentiellement fragmentaire
L’abandon du projet de monnaie commune des BRICS pourrait pousser les pays membres à développer des relations bilatérales et multilatérales plus intenses en réponse aux défis économiques et monétaires qu’ils rencontrent. Bien que cette approche pragmatique présente de nombreux avantages, elle pourrait également engendrer des conséquences négatives pour l’unité et la cohésion du groupe.
Au niveau des accords commerciaux bilatéraux,
- Diversification des modalités de paiement :
Les pays des BRICS pourraient établir des accords commerciaux qui permettent les paiements en monnaies nationales, comme le yuan chinois, le rouble russe ou la roupie indienne. Ces accords peuvent inclure :
– Élimination du dollar : en réduisant la dépendance vis-à-vis du dollar américain, ces pays pourraient minimiser les effets des fluctuations du dollar sur leurs économies, ce qui renforcerait leur souveraineté économique.
– Stimulation du commerce intra-BRICS : en facilitant les transactions en monnaies locales, ces accords pourraient accroître le volume du commerce entre les différents pays membres. Par exemple, un accord de commerce entre le Brésil et l’Inde pourrait encourager les exportations agricoles brésiliennes, tout en permettant à l’Inde d’exporter des technologies et des services.
– Développement de chaînes d’approvisionnement régionales : les accords bilatéraux peuvent encourager les pays à établir des chaînes d’approvisionnement régionales, réduisant ainsi les coûts logistiques et améliorant l’efficacité économique.
Risques de fragmentation :
Cependant, l’accent mis sur les accords bilatéraux peut avoir des implications négatives :
– Inégalité dans les relations commerciales : les pays plus puissants économiquement, comme la Chine, pourraient dominer les accords, ce qui pourrait conduire à des déséquilibres dans les échanges et à des tensions entre les membres.
– Compétition plutôt que coopération : en se concentrant sur des relations bilatérales, les pays pourraient devenir plus compétitifs que coopératifs, ce qui pourrait empêcher l’établissement d’une stratégie collective sur des enjeux globaux tels que le changement climatique ou la sécurité économique.
Fonds de stabilisation communs
Création de mécanismes de soutien :
Les pays BRICS pourraient renforcer des mécanismes comme le BRICS Contingent Reserve Arrangement (CRA), qui permet aux pays membres d’accéder à des réserves de liquidité en cas de besoin. Cela pourrait inclure :
– Accords de swap de devises : les pays membres pourraient établir des accords de swap pour faciliter l’accès à des devises étrangères, réduisant ainsi leur vulnérabilité aux chocs économiques et monétaires. Par exemple, un accord entre la Chine et l’Inde permettrait à l’Inde d’accéder à des yuans en cas de besoin urgent de liquidité.
– Mécanismes de financement d’urgence : en cas de crise économique ou financière, un fonds commun pourrait être utilisé pour aider les pays en difficulté, sans avoir besoin de passer par le dollar américain ou le Fonds monétaire international (FMI), ce qui renforcerait leur indépendance.
Risques d’inefficacité et de fragmentation :
Malgré ces avantages, la dépendance accrue aux fonds de stabilisation communs pourrait présenter des défis :
– Gestion complexe : la mise en place de mécanismes de financement communs peut entraîner des complications administratives et des divergences dans les priorités économiques des États membres, rendant la prise de décision collective difficile.
– Fragmentation de l’unité : en se concentrant sur des solutions bilatérales et des fonds de stabilisation, les pays pourraient perdre de vue l’importance d’une approche collective, ce qui pourrait affaiblir l’identité et la solidarité du groupe BRICS.
En fait, le renforcement des relations bilatérales à la suite de l’abandon de la monnaie unique représente une réponse pragmatique aux défis économiques rencontrés par les BRICS. Toutefois, cette stratégie comporte des risques de fragmentation qui pourraient entraver la coopération à long terme et creuser les divergences entre les membres.
Les BRICS devront naviguer avec soin pour trouver un équilibre entre l’autonomie économique par le biais d’accords bilatéraux et la nécessité de maintenir une unité stratégique au sein du groupe. Les pays membres devront également travailler à la mise en place de mécanismes de gouvernance qui favorisent une prise de décision collective tout en tenant compte des intérêts spécifiques de chaque pays.
- Troisième conséquence significative via un Impact sur le commerce international d’une dépendance persistante au dollar et une influence réduite.
L’absence d’une monnaie commune au sein des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) a des conséquences notables sur le commerce international, en particulier en ce qui concerne la dépendance persistante au dollar américain. Bien que chaque pays puisse préserver sa souveraineté monétaire, cette situation présente plusieurs défis pour leurs relations commerciales et leur influence dans le système financier mondial.
Exposition aux fluctuations du dollar
Volatilité des taux de change :
Les économies BRICS continueront d’être exposées aux fluctuations du dollar, ce qui complique la gestion de leurs balances commerciales.
Les impacts incluent :
– Coûts d’importation et d’exportation : les variations du dollar peuvent affecter le coût des biens importés et les revenus des exportations. Par exemple, une appréciation du dollar rendra les importations plus coûteuses pour les pays qui doivent acheter des matières premières libellées en dollars. Inversement, une dépréciation du dollar pourrait réduire les revenus d’exportation des pays qui vendent leurs produits sur les marchés mondiaux mais dont les prix sont souvent indexés sur le dollar.
– Instabilité économique : l’instabilité des taux de change peut rendre difficile la planification économique à long terme. Les entreprises exportatrices et importatrices des BRICS doivent gérer des risques de change, ce qui peut augmenter les coûts de transaction et nuire à la compétitivité.
– Impact sur les investissements étrangers : les fluctuations du dollar peuvent également influencer les décisions d’investissement. Les investisseurs peuvent être moins enclins à investir dans des économies dont la monnaie est volatile par rapport au dollar, ce qui peut freiner le développement économique des pays BRICS.
Incapacité à contester l’hégémonie du dollar
Dépendance aux institutions dominées par l’Occident
Sans une monnaie commune, les BRICS renoncent à une opportunité de contester l’hégémonie du dollar et à sa position prépondérante dans le système financier international. Cela entraîne plusieurs implications :
– Maintien des structures de pouvoir établies : le dollar domine les transactions internationales, ce qui signifie que les BRICS continuent de dépendre des institutions financières comme le FMI et la Banque mondiale, qui sont largement influencées par les pays occidentaux. Cette dépendance limite leur capacité à façonner les règles et les normes économiques qui régissent le commerce international.
– Faible pouvoir de négociation : l’absence d’une monnaie unique signifie que les BRICS n’ont pas de contrepoids significatif au dollar. Cela affaiblit leur pouvoir de négociation sur les marchés internationaux et dans les discussions économiques mondiales. Les pays membres restent souvent à la merci des dynamiques du marché dominées par les grandes puissances occidentales.
- Promotion de l’usage des monnaies nationales
Initiatives de certains membres :
Bien que l’absence d’une monnaie commune limite l’influence globale des BRICS, certains membres, en particulier la Chine, continuent d’expérimenter des alternatives au dollar :
– Accords de swap monétaires : la Chine a établi des accords de swap monétaires avec plusieurs pays, facilitant ainsi le commerce bilatéral en utilisant le yuan plutôt que le dollar. Cela permet une réduction partielle de la dépendance au dollar dans certaines transactions, surtout avec des partenaires commerciaux en développement.
– Infrastructures pour le yuan : la promotion du yuan comme monnaie d’échange dans le commerce international et au sein de blocs régionaux, comme l’Initiative de la ceinture et de la route, pourrait renforcer l’usage du yuan. Cela pourrait également inciter d’autres pays BRICS à envisager des solutions similaires pour réduire leur dépendance au dollar.
– Développement d’alternatives : d’autres pays BRICS, tels que la Russie, cherchent également à diversifier leurs réserves de change et à promouvoir l’utilisation de leurs monnaies nationales dans le commerce. Cela représente une tentative de réduire l’influence du dollar, bien que l’impact immédiat sur le commerce international reste encore limité.
En définitive, l’absence d’une monnaie commune pour les BRICS entraîne une dépendance continue au dollar américain, exposant les économies à sa volatilité et limitant leur influence dans le système financier mondial. Bien que certains membres, comme la Chine, explorent des alternatives en promouvant l’utilisation de leur propre monnaie, ces initiatives ne suffisent pas à contester l’hégémonie du dollar à l’échelle internationale.
À long terme, pour que les BRICS augmentent leur influence sur le commerce international, ils devront envisager des stratégies collectives qui favorisent une coopération accrue, tout en diversifiant leurs relations économiques et en développant des mécanismes de soutien mutuel.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)