Au-delà des tergiversations et contradictions exprimées par diverses puissances occidentales à l’égard des mandats émis par la Cour pénale internationale (CPI) contre B. Netanyahu et son ex-ministre de la Défense, ces actes de justice représentent un évènement historique. En effet, il s’agit de la première fois que la CPI vise des dirigeants appartenant au bloc géopolitique occidental. Une avancée qui mérite d’être mise en perspective.
Le droit international pénal organise l’incrimination et la répression des violations des règles du droit international des droits de l’Homme et du droit international humanitaire. L’individu est ici tenu par des obligations internationales, dont la violation peut engager sa responsabilité pénale internationale. La création de tribunaux pénaux internationaux ad hoc par le Conseil de sécurité de l’ONU, puis l’institution d’une CPI (permanente) par le traité de Rome (1998), ainsi que les débats relatifs à la « compétence/juridiction universelle » (en vertu de ce principe, tout Etat peut ou doit juger les personnes suspectées de crimes internationaux se trouvant sur son territoire) témoignent des progrès dans la lutte contre l’impunité des individus auteurs des crimes ou violations des droits de l’Homme les plus graves.
L’affirmation d’un droit international pénal
Historiquement, le droit international pénal ne se développe qu’à partir de la moitié du XXe siècle, en réaction aux crimes massifs commis lors de la Seconde Guerre mondiale. L’évènement permet de dépasser le principe classique de la responsabilité internationale de l’Etat, pour imposer l’idée même d’une responsabilité pénale internationale des individus, en général, et des plus hauts représentants étatiques, en particulier.
Les tribunaux militaires internationaux de Nuremberg (1945-1946) et de Tokyo (pour l’Extrême-Orient, 1946-1948) sont les premières juridictions pénales internationales à juger de responsables (de l’Allemagne nazie et l’empire du Japon) de crimes contre la paix, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
La guerre froide n’a pas permis de consacrer ce changement de paradigme, à travers notamment l’institution d’une justice pénale internationale (permanente et universelle).
En revanche, la chute du mur de Berlin a ouvert des perspectives nouvelles en la matière. Des crimes de masse ont fondé le Conseil de sécurité de l’ONU à créer deux tribunaux ad hoc – l’un pour l’ex-Yougoslavie en 1993, l’autre pour le Rwanda en 1994. Des expériences qui ont contribué à la juridictionnalisation du droit international pénal et à sa consécration par le Statut de Rome (traité signé le 17 juillet 1998 et entré en vigueur le 1er juillet 2002), acte constitutif de la CPI permanente et à vocation universelle.
Le principe de responsabilité pénale individuelle
Le Statut de Rome pose le principe de responsabilité pénale individuelle, d’abord en termes de compétence : « [l]a Cour est compétente à l’égard des personnes physiques en vertu du présent Statut » (art. 25 § 1). Puis en termes de responsabilité proprement dite : « [q]uiconque commet un crime relevant de la compétence de la Cour est individuellement responsable et peut être puni conformément au présent Statut. » (art. 25 § 2).
Le Statut de la CPI énumère enfin une série de comportements criminels, comme le fait de commettre le crime, de l’ordonner ou de s’en faire l’instigateur (art. 25 § 3).
Toutefois, la compétence de la Cour concerne les « crimes les plus graves touchant l’ensemble de la communauté internationale » commis après l’entrée en vigueur du Statut de Rome. A savoir les : crimes de génocide; crimes contre l’humanité; crimes de guerre; et les crimes d’agression (catégorie qui criminalise l’usage de la force, ajoutée à la suite de la première Conférence de révision du Statut de Rome en juin 2010).
Le Statut de Rome fixe ainsi une définition complète (définitive?) des crimes internationaux, dont les composantes sont essentiellement des violations du droit international des droits de l’Homme et du droit international humanitaire.
Les limites de la CPI
En dépit des innovations importantes dans la reconnaissance du droit à réparation des victimes de crimes internationaux, la CPI demeure confrontée à des critiques en déficit d’efficacité et de légitimité. D’une part, l’action de la CPI dépend largement de la coopération des Etats, car elle ne dispose pas de moyens de contrainte pour la mise en œuvre de ses propres mandats. D’autre part, le fait que des responsables non-occidentaux, en général, et africains, en particulier, représentent l’essentiel des poursuites nourrit les critiques en partialité et iniquité à l’encontre de la CPI.Il y a une forme d’alignement de la CPI sur les intérêts stratégiques des puissances occidentales.
C’est donc en ce sens que les mandats émis contre les dirigeants israéliens marquent une rupture de nature à renforcer la légitimité de la CPI aux yeux des pays du Sud global. En même temps, la réaction pour le moins équivoque des Occidentaux (les Etats-Unis ayant carrément critiqué vertement l’initiative de la CPI) est, elle, de nature à affaiblir l’autorité de la CPI, dont le fonctionnement dépend en grande partie des moyens fournis par ces puissances du Nord…