La Banque centrale européenne (BCE) a une nouvelle fois abaissé ses taux d’intérêt (jeudi 12 décembre 2024), adoptant une politique monétaire plus accommodante pour soutenir une économie européenne affaiblie par des incertitudes géopolitiques et des pressions commerciales.
La réduction de 25 points de base, ramenant le taux de dépôt à 3 %, reflète un consensus parmi les décideurs. Bien que certains aient proposé une baisse plus importante.
Un contexte économique et politique incertain
Les décisions de la BCE s’inscrivent dans un cadre de tensions multiples : instabilité politique en Europe, menace de droits de douane américains sous la présidence de Donald Trump, et prévisions économiques moroses.
La BCE prévoit une croissance modérée pour la zone euro (0,7 % en 2024, augmentant progressivement jusqu’à 1,4 % en 2026). Bien que le processus de désinflation progresse, l’inflation reste une préoccupation, avec des objectifs atteignables d’ici 2025 selon les prévisions.
Des signaux mixtes sur les perspectives
La communication de Christine Lagarde, la présidente de la BCE, met en avant un processus désinflationniste bien engagé, mais aussi des défis persistants, comme le ralentissement de la croissance et les incertitudes politiques. La BCE adopte une posture prudente, supprimant la mention d’une politique « suffisamment restrictive », mais ne s’engage pas clairement sur un rythme accéléré des baisses de taux.
Les projections économiques ajustées confirment un affaiblissement des perspectives, tout en laissant entendre que la BCE pourrait encore réduire ses taux pour atteindre un niveau « neutre » (estimé entre 2 % et 2,5 %). Cependant, les avis divergent quant à l’urgence et l’ampleur de ces ajustements, certains plaidant pour une réduction plus rapide en raison de la dégradation des conditions économiques.
Un impact potentiel sur les marchés
Les baisses de taux visent à stimuler la demande intérieure et la consommation, mais leur efficacité dépendra de la capacité de la BCE à répondre aux pressions externes, telles que les tensions commerciales et l’incertitude politique.
Les perspectives d’une croissance tardive et modérée renforcent la nécessité d’un soutien monétaire ciblé, bien que la prudence domine pour éviter tout emballement inflationniste.
En somme, la BCE cherche un équilibre délicat entre soutien à l’économie et contrôle de l’inflation, dans un contexte de risques accrus et de pressions sur les décideurs pour adopter des mesures plus audacieuses.
Impact sur l’économie tunisienne
Les répercussions potentielles de la baisse des taux de la BCE sur l’économie tunisienne seraient multiples.
En premier lieu, un renforcement du dinar face à l’euro : des effets contrastés
- Impact positif : réduction du coût des importations
L’UE étant le principal fournisseur de la Tunisie, une baisse de l’euro par rapport au dinar réduirait les coûts des importations tunisiennes. Cela profiterait aux entreprises importatrices de biens d’équipement, de technologies et de matières premières en provenance d’Europe.
Ce mouvement pourrait également limiter la hausse des prix à la consommation sur les produits importés, aidant à contenir les pressions inflationnistes internes, un objectif clé pour une économie déjà confrontée à un pouvoir d’achat en berne.
- Impact négatif : compétitivité des exportations
Les produits tunisiens, tels que le textile, l’agroalimentaire et les composants automobiles, pourraient devenir relativement plus chers pour les acheteurs européens. Cela pourrait nuire à la compétitivité des exportations tunisiennes, dans un contexte où l’industrie manufacturière locale dépend largement des commandes européennes.
Par ailleurs, un affaiblissement de l’euro pourrait réduire les recettes d’exportation exprimées en dinars, aggravant potentiellement les déséquilibres extérieurs.
En deuxième lieu, un impact sur les investissements étrangers : une attractivité renforcée pour la Tunisie
- Recherche de rendements supérieurs
Une baisse des taux en zone euro rend les investissements dans cette région moins lucratifs, incitant certains investisseurs à se tourner vers des marchés émergents comme la Tunisie, qui offrent des rendements potentiellement plus élevés.
La Tunisie pourrait tirer profit de cette situation, notamment pour attirer des investissements directs étrangers (IDE) dans des secteurs stratégiques comme :
-
- Les énergies renouvelables, grâce à l’engagement de l’UE pour des projets environnementaux.
- L’industrie manufacturière, particulièrement dans des chaînes de valeur connectées au marché européen.
- Des défis à surmonter
Toutefois, pour capter ces flux, la Tunisie devra surmonter les freins structurels liés à l’instabilité politique, la complexité administrative, et les insuffisances infrastructurelles.
La perception des risques liés à la dette tunisienne et à la stabilité macroéconomique pourrait limiter l’intérêt des investisseurs, sauf si des réformes tangibles sont mises en œuvre.
En troisième lieu, au niveau des échanges commerciaux : potentiel de croissance modéré
- Demande européenne et opportunités d’exportation
La baisse des taux par la BCE vise à stimuler la croissance et la consommation dans la zone euro. Cela pourrait renforcer, à moyen terme, la demande pour les produits tunisiens exportés vers l’UE.
Toutefois, les prévisions de croissance européenne restent faibles (0,7 % en 2024), limitant la portée de cet effet pour la Tunisie, dont l’économie est largement tributaire de la santé économique européenne.
- Adaptation à de nouvelles normes européennes
La reprise européenne pourrait également se traduire par une montée en puissance des exigences environnementales et technologiques sur les produits exportés.
Les entreprises tunisiennes devront investir pour se conformer à ces normes. Ce qui pourrait alourdir leurs coûts de production.
En quatrième lieu, au niveau des transferts financiers : effets ambivalents
- Augmentation potentielle des transferts
Les Tunisiens résidant en Europe pourraient être incités à transférer davantage de fonds, les taux bas leur offrant des liquidités supplémentaires.
Ces transferts sont cruciaux pour soutenir la consommation intérieure en Tunisie, particulièrement dans les régions les plus défavorisées.
- Impact sur la valeur des transferts
Cependant, si l’euro se déprécie fortement face au dinar, la valeur de ces transferts en monnaie locale pourrait diminuer, réduisant leur impact positif sur la demande intérieure.
En cinquième lieu, au niveau des répercussions sur la politique monétaire tunisienne
- Pression pour aligner les politiques
Une divergence croissante entre les taux directeurs de la BCE (en baisse) et ceux de la Banque centrale de Tunisie (BCT), qui maintient une politique restrictive pour contenir l’inflation, pourrait poser des défis.
Un différentiel de taux d’intérêt élevé pourrait entraîner des sorties de capitaux ou rendre le financement extérieur tunisien plus coûteux, accentuant les tensions sur les réserves de change.
- Gestion de la compétitivité
La BCT devra trouver un équilibre délicat entre :
-
- Préserver la compétitivité des exportations tunisiennes en maintenant un dinar compétitif.
- Éviter une trop forte pression sur l’inflation, déjà à 6,7 %, en raison de potentielles hausses des coûts d’importation énergétiques.
Sixième lieu, au niveau des risques liés à l’instabilité mondiale
- Guerres commerciales et tensions géopolitiques
La BCE a souligné l’impact potentiel des tensions commerciales et géopolitiques (droits de douane américains, instabilité politique en Europe) sur la croissance. Ces incertitudes pourraient indirectement affecter la Tunisie, dont l’économie est sensible aux chocs externes.
Un ralentissement global pourrait peser sur les recettes touristiques, les exportations, et les investissements étrangers, affaiblissant davantage une économie déjà fragile.
En définitive, des opportunités à saisir, mais des défis à relever
La baisse des taux de la BCE crée un environnement globalement favorable à une stimulation économique en Tunisie grâce à une réduction des coûts d’importation et une attractivité accrue pour les capitaux étrangers. Cependant, les effets positifs pourraient être limités par :
- Une croissance européenne faible qui réduit la demande pour les produits tunisiens.
- Les vulnérabilités structurelles internes (instabilité politique, réformes inachevées).
Pour maximiser les bénéfices de ce contexte international, la Tunisie devra :
- renforcer ses capacités exportatrices pour capter la reprise européenne;
- améliorer l’environnement des affaires pour attirer davantage d’IDE;
- maintenir une politique monétaire et budgétaire cohérente pour préserver la stabilité macroéconomique.
Une coordination stratégique entre les acteurs publics et privés sera cruciale pour transformer ce contexte international en moteur de croissance durable pour la Tunisie.
===============================
* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)