Alors que les politiques monétaires des grandes Banques centrales, comme la FED et la BCE, continuent d’évoluer dans un contexte économique mondial incertain, la Banque centrale de Tunisie (BCT) est confrontée à des défis majeurs pour stabiliser l’économie nationale.
La question qui se pose est la suivante : la BCT fait-elle assez en matière de politique monétaire? Depuis plusieurs mois, la BCT a maintenu une approche prudente en matière de politique monétaire. Face à une inflation persistante mais en ralentissement (6,6 % en novembre 2024), la banque a ajusté son principal taux directeur, actuellement fixé à 8,00 %, après une série de hausses marquées entre 2021 et 2023 pour juguler l’inflation galopante.
Cependant, la question demeure : cette prudence est-elle suffisante pour relancer l’activité économique et répondre aux attentes des acteurs économiques?
Des ajustements limités pour un contexte fragile
La BCT motive son approche par plusieurs considérations
Premièrement, bien que la hausse des prix tende à se modérer, le risque d’un nouveau choc inflationniste persiste, notamment en raison des tensions géopolitiques internationales, des fluctuations des cours des matières premières et de la fragilité des chaînes d’approvisionnement.
Par ailleurs, les augmentations salariales dans certains secteurs clés pourraient raviver les pressions inflationnistes, en particulier dans les services.
Deuxièmement, bien que la BCT ne vise pas explicitement un objectif de taux de change, l’évolution du dinar tunisien par rapport à l’euro et au dollar influence ses décisions.
Un dinar affaibli, en raison des différenciations de taux d’intérêt avec les banques centrales des pays partenaires, pourrait compliquer les importations et alourdir la facture énergétique et alimentaire, aggravant ainsi le déficit courant.
Enfin, les tensions budgétaires de l’État tunisien jouent un rôle crucial. Avec un déficit public élevé et une dette en expansion, la BCT doit éviter une politique monétaire trop accommodante qui risquerait de réduire l’incitation aux réformes structurelles nécessaires et de créer une pression supplémentaire sur les finances publiques.
Une précaution démesurée ?
Malgré ces arguments, certains analystes estiment que la prudence de la BCT pourrait freiner la reprise économique. Avec des délais d’impact souvent supérieurs à un an pour les décisions monétaires, une détente plus marquée des taux pourrait dès à présent stimuler la consommation et l’investissement, essentiels pour redynamiser l’emploi et la croissance.
En effet, le contexte économique dégradé, marqué par une faible demande intérieure et une dégradation du pouvoir d’achat, nécessite des mesures plus audacieuses.
La notion de « taux neutre », correspondant au niveau où la politique monétaire n’est ni expansionniste ni restrictive, revêt une importance cruciale. Bien que ce taux ne puisse être observé directement, il est généralement estimé aux alentours de 2 % en termes réels dans les économies émergentes. En Tunisie, cela indiquerait que les taux directeurs actuels demeurent restrictifs, réduisant ainsi les possibilités d’accès au crédit pour les entreprises et les ménages.
Quels choix pour 2025 ?
La BCT devra naviguer avec pragmatisme dans les mois à venir. Des annonces prudentes laissent entrevoir de possibles baisses de taux en 2025, bien que leur ampleur reste incertaine.
Si l’inflation continue de se modérer et que la croissance demeure atone, une réduction progressive mais significative des taux pourrait aider à repositionner l’économie sur une trajectoire de croissance durable.
Cependant, une telle politique monétaire devra être accompagnée d’un renforcement du cadre budgétaire et d’une stratégie claire pour diversifier les moteurs de croissance. Une politique monétaire seule, aussi bien calibrée soit-elle, ne suffira pas à redresser l’économie tunisienne sans réformes structurelles profondes, notamment pour améliorer la compétitivité, réduire les déséquilibres extérieurs et restaurer la confiance des investisseurs.
En définitive, plus que jamais, la BCT est appelée, à jouer un rôle clé dans un équilibre délicat entre relance économique, maîtrise des prix et stabilité financière, tout en restant attentive aux chocs exogènes pouvant menacer une reprise encore fragile.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)