Alors que nous sommes à deux semaines de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur les chèques, force est de reconnaitre que les bouleversements qu’elle va introduire- aussi bien dans la vie de la majorité des citoyens que dans les activités des opérateurs économiques, particulièrement les commerçants et les PME qui constituent 80 % du tissu économique en Tunisie, sans oublier les banques- sont inquiétants en raison d’un manque de visibilité à moyen et à long terme.
« Le pays est à l’arrêt! », s’est écriée la députée et membre du bureau de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), Syrine Mrabet. Et ce, dans un statut FB publié mardi 14 janvier 2025 et adressé au président de la République, Kaïs Saïed, en faisant référence à la nouvelle loi relative aux chèques. Tout en précisant que la dite nouvelle loi, qui entrera en vigueur le 1er février 2025, « n’a pas pu aider les détenus pour infractions relatives aux chèques ». Pis, avant même cette date fatidique, les acteurs économiques à l’instar des petites entreprises, les entrepreneurs et les commerçants « ne peuvent pas travailler car les chèques ne sont plus acceptés ».
Gabegie
Faut-il rappeler à cet égard qu’en dépit des lacunes et des critiques soulevées par plusieurs experts économiques, Mme Mrabet et ses collègues au sein de l’ARP ont adopté cette loi le 30 juillet dernier; et ce, par 127 voix pour, une voix contre et deux abstentions.
Alors comment expliquer ce brusque rétropédalage? Il s’avère que personne n’est prêt : ni les banques, ni la Banque centrale, pas plus que les opérateurs économiques et encore moins les ménages.
Ainsi, alors que la nouvelle réglementation des chèques n’est pas encore appliquée, l’on observe le chaos qui commence à s’installer d’ores et déjà. Ainsi, les banques ayant suspendu l’émission de nouveaux chéquiers, les commerçants refusent désormais d’accepter les chèques « classiques ». Ils exigent désormais un paiement en espèces et subissent par conséquent une baisse notable de leur chiffre d’affaires.
Quant aux clients, dont des PME, habitués à acheter à crédit par le truchement des fameux chèques antidatés, alors que le chèque est légalement considéré comme un moyen de paiement « à vue », ils ne savent plus à quel saint se vouer.
Résultat : « un pays à l’arrêt », selon l’expression inspirée de la vénérable députée!
Pourtant, la majorité des experts économiques tirèrent très tôt la sonnette d’alarme en pointant du doigt l’impact douloureux de cette loi sur l’économie nationale et ses incidences négatives sur la croissance.
« Une catastrophe »
Ainsi, dans un post sur Facebook daté du mardi 24 décembre 2024, le professeur universitaire en sciences économiques, Ridha Chkoundali, avait une fois de plus exprimé ses inquiétudes quant aux les effets « catastrophiques » de cette réforme de la législation sur les chèques sur l’économie tunisienne.
« Je l’ai dit et je le redis », a-t-il martelé. Et de poursuivre : « La nouvelle loi sur les chèques sera une catastrophe, anéantissant les maigres acquis de croissance économique réalisés en Tunisie depuis la révolution, principalement grâce à la consommation des ménages ».
Dans ce contexte, il poursuit : « Toutes les familles tunisiennes utilisent les chèques pour faciliter les paiements échelonnés. Car le pouvoir d’achat des citoyens est si faible qu’ils ne peuvent pas régler les montants en une seule fois ».
« Par conséquent, le commerce sera le premier secteur touché. Or, si le commerce s’arrêtait, tous les autres secteurs s’effondreraient, notamment ceux dépendant du marché local, c’est-à-dire de la consommation. Sans consommation, l’économie tunisienne deviendra encore plus fragile et ne pourra pas résister. Car elle sera davantage dépendante de facteurs externes liés aux exportations, qui, eux, ne sont pas garantis ». Brillante analyse.
Revenant à la charge pour pointer cette fois-ci « le manque d’enthousiasme » des banques qui « refusent de faire des efforts dans le cadre de la législation sur les chèques, car elles en tirent des profits colossaux », Ridha Chkoundali, a affirmé mercredi 25 décembre 2024 sur les ondes de Jawhara FM qu’en Tunisie, « nous ne disposons pas de lois préventives, mais uniquement de lois répressives ». Tout en affirmant que le projet de la nouvelle loi n’est qu’une « tempête législative dans un verre d’eau ». Car, a-t-il expliqué, « il existe une véritable crise de confiance entre les citoyens et les banques ». Ajoutant au passage que les réformes ne peuvent aboutir dans un climat dépourvu de confiance entre les citoyens et les institutions.
Rappelons à ce propos que la nouvelle loi épargne la prison aux émetteurs de chèques sans provisions d’un montant inférieur ou égal à 5000 dinars. De même qu’elle oblige également les banques à les payer sous huit jours ouvrables. Et ce, même si le tireur ne dispose pas d’une provision suffisante et qu’il refuse d’approvisionner son compte.
Une bombe à désamorcer?
Au final, et en tenant compte des avertissements lancés par la majorité des experts économiques, faut-il s’attendre à une « suspension » de la nouvelle loi sur les chèques en s’inspirant de la surprenante décision prise hier mercredi 15 janvier par le Conseil national de l’Ordre des médecins. En effet, ce dernier annonçait, à la surprise générale, la suspension de la nouvelle fourchette des honoraires médicaux dans le secteur privé entrée en application le 1er janvier 2025. En justifiant sa décision par un « engagement conscient et responsable », et en appelant à l’ouverture d’un dialogue avec les autorités compétentes « pour parvenir à une approche globale garantissant les droits de toutes les parties » ?
Un peu court comme arguments.