Les fonctionnaires ont aujourd’hui le moral à zéro. Ils croyaient pourtant avoir opté pour la carrière la moins anxiogène : sécurité de l’emploi, retraite assurée, sans parler des promotions internes et des avancements d’échelons, calés davantage sur les années d’ancienneté que sur l’amélioration de la production, l’esprit d’initiative ou l’innovation. Certes, ils ne manqueront pas d’exprimer une certaine envie pour leurs collègues du privé et pour les professions libérales en général qui, souvent, pour des qualifications égales, produisent des revenus bien plus élevés leur permettant de mener un train de vie confortable. Ne parlons pas du statut social, car qui dit secteur privé, dit souvent médecin, technicien supérieur, avocat, cadre d’entreprise et, surtout, une meilleure considération de la part de leur entourage. En revanche, qui dit agent de l’Etat, dit salaire au rabais et un individu perçu comme socialement et économiquement inutile, un « planqué » selon l’image désormais partagée. Il n’en demeure pas moins que les agents du privé restent toujours exposés aux revers du temps, aux caprices du marché, aux aléas de l’économie et à la précarité. Mais, voilà qu’on apprend que le socle inébranlable sur lequel s’est édifié toute l’idéologie et la réputation de la fonction publique s’effondre, que les salaires des commis de l’Etat qui consacrent leur vie au service de l’intérêt général ne sont plus du tout garantis ! Bref qu’ils sont désormais les victimes expiatoires de la turpitude et de la mauvaise gestion des gouvernements successifs.
L’alimentation est le premier poste du budget des ménages les plus modestes, qui y consacrent plus du quart, parfois la moitié de leurs dépenses, sans parvenir pourtant à se nourrir convenablement. Les deux produits alimentaires qui pèsent le plus lourd dans leur budget sont d’une part la viande, le poisson et le poulet et, d’autre part, les produits laitiers, les légumes, les boissons non alcoolisées (thé, café, eaux minérales, boissons gazeuses et jus de fruits). Ces grandes familles de produits constituent environ 80 % du montant de la consommation alimentaire des ménages. Viennent ensuite le pain, les céréales et le sucre dont les prix demeurent relativement stables grâce à l’intervention de l’Etat. Une bienveillance aujourd’hui exposée à l’épreuve de la rigueur budgétaire et des réformes structurelles. Parce que nous avons vécu au-dessus de nos moyens et à crédit, des milliards d’économies doivent être réalisés au détriment des fonctionnaires publics et des retraités, c’est-à-dire des ménages. Jadis, les difficultés financières étaient passagères, résultat d’événements imprévus ou d’un contretemps fâcheux. On reportait alors la célébration d’un mariage, on suspendait un chantier, on annulait un voyage ou bien on proscrivait les restaurants pour un temps. Rien de bien méchant, car la vie finissait la plupart du temps par reprendre son cours normal. La situation est aujourd’hui nettement différente, plus désespérée, plus déprimante et touche toutes les rubriques de consommation des ménages qui connaîtront bientôt des hausses inéluctables: alimentation, transport, énergie, matériaux de construction, etc.
Dans la mesure où l’horizon des fonctionnaires et autres catégories professionnelles sera bientôt celui de la nécessité, voyons comment on peut réduire davantage le montant des dépenses alimentaires sans mourir de faim. Ce régime, autrefois dicté par la contrainte, va devoir être repensé au regard à la fois des moyens financiers et de la diététique. Cuisine pauvre, cuisine des pauvres, autant d’expressions toutes trouvées pour désigner ce répertoire du peu et du presque rien qui se serait forgé au fil des siècles chez les plus indigents.
En Tunisie, les tomates en conserve ont connu deux hausses pendant l’année 2013. Le prix de l’huile d’olive est passé de 4. 800 D à 7.700, celle de tournesol se vend à plus de trois dinars. La hausse du prix des fourrages destinés à l’engraissement des animaux se répercute régulièrement sur celui de la viande et du lait. Devant cette inexorable tendance à la hausse, la mère de famille doit apprendre à vivre en consommant moins, tenir serré son budget tout en pourvoyant aux besoins de son mari et de ses enfants. Pour cela une règle d’or, aujourd’hui de plus en plus enfreinte : patience et sobriété. Compenser l’absence, suppléer au manque. Il faut commencer tout d’abord par réduire les portions à servir, en gardant toujours le sourire, surtout la viande, le poulet et le poisson. Savoir patienter pour ne manger que les fruits et les légumes de saison. En somme, manger moins, acheter des produits moins chers et consommer une nourriture moins diversifiée. Acheter des fruits et légumes locaux, toujours plus abordables que les produits sans goûts cultivés sous serre ou hors de nos frontières. En les épluchant, il faut enlever le moins possible de la surface des légumes, ou des fruits et récupérer au maximum les parties comestibles ; feuilles de radis et de navets, côtes vertes de choux fleurs, sans oublier le plumet de fenouils très utile pour le couscous. Pour les fritures, il est recommandé de régler l’intensité du feu pour que l’huile ne dépasse jamais le stade d’émission de fumée qui la rendra malsaine. Laisser ensuite les aliments frits s’égoutter et filtrer l’huile de cuisson pour réutilisation. Cependant il faut, tant que faire se peut, éviter la friture qui revient chère et lui préférer une cuisson à la vapeur. Revenir aux plats traditionnels devient de plus en plus coûteux, car ils exigent avant tout la viande ou le poisson. Il faut savoir alors se contenter de sauces bien assaisonnées, suffisamment liées et abondantes pour « faire manger du pain » et faire oublier l’absence de viande. Varier les soupes car elles ne reviennent pas très cher et sont d’excellentes préparations de récupération et allongent la durée des repas. Sur ce chapitre, la ménagère tunisienne n’est jamais à court d’idées. Comme il faut manger du poisson, il faut se résoudre à acheter n’importe lequel pourvu qu’il soit bon marché et le préparer de manière à conserver ses valeurs nutritives en le servant avec un peu d’huile et du citron. La viande rouge étant hors de portée, reste les abats et la triperie : cervelle, langue, rognons. Imaginer, par exemple, des soupes de légumes secs et céréales aux tripes de bœuf. Côté dessert, le marché offre des produits très élaborés, abordables mais pas toujours sains. On peut dans cas se contenter des yaourts de base, qu’on agrémentera de confiture ou compote, préparer des cakes au raisins secs, des crêpes maison, faciles, légères et très bon marché.
Si la transition politique s’est achevée avec un certain succès, comparée à nos voisins, la transition alimentaire risque d’être moins triomphale. Les objectifs en matière de réduction des déficits seront avant tout perceptibles dans nos assiettes dont les rations diminueront de jour en jour. Cependant, il ne faut pas croire que la cuisine tunisienne, dans son extrême variété, a été créée ex nihilo ou le fruit de l’abondance. Elle a été élaborée au fil des siècles par des apports successifs, et la pratique populaire courante avait su accommoder, surtout en temps de crise, avec intelligence et discernement, les différents produits et ingrédients disponibles afin de lutter contre la pénurie, la cherté ou le manque de moyens. Elle a réussi ainsi à assurer le maintien de la vie tout en conjuguant plaisir et équilibre, conseillant la modération, condamnant de façon catégorique les excès et la gourmandise. Aujourd’hui une autre cuisine adaptée à la rigueur des temps ne manquera pas de se révéler dans nos assiettes avec peut-être des résultats inattendus. La nécessité n’est-elle pas mère de l’invention ?