L’après-midi du 21 avril 2014, le soleil du printemps inondait le patio de l’ancien palais beylical d’une lumière chaude. Un jeune garçon au regard timide et triste, traversa silencieusement le patio pour gagner la salle, où demeuraient, depuis des jours, des membres des familles des martyrs et des blessés de la Révolution.
Quand ils étaient venus à l’Assemblée nationale constituante, le lundi 14 avril 2014, ces Tunisiens déchirés par la douleur ne comptaient pas rester longtemps. Ils étaient venus à la hâte dénoncer, auprès de ceux qu’ils estimaient représenter le pouvoir légitime du pays, le verdict qui « avait blanchi les assassins de leurs enfants ».
En ce jour là, devant la porte de cette ancienne salle de l’Assemblée nationale constituante, deux mères, aussi timides qu’embarrassées, demandèrent à Yamina Zoghlami, la députée présidente de la Commission des martyrs et blessés de la Révolution et de l’amnistie, si elles pouvaient entrer dans la salle sans avoir apporté avec elles les portraits de leurs enfants martyrs. Mais, huit jours après, les portraits étaient là. Les visages des martyrs, tous immortalisés sur un fond aux couleurs du drapeau national, ont été accrochés au mur, éclipsant ainsi la présence du grand emblème de la République et des deux autres tableaux relatant des scènes de la marine beylicale remontant au 19ème siècle. Ces visages jeunes, au regard débordant de vie, semblaient suivre les discussions de leurs proches, qui, originaires de coins disparates de la Tunisie, ont été unis tel un même équipage, sur un même radeau de fortune. Les discussions, toutes axées sur ce « verdict injuste » prononcé par la Cour militaire, s’enlisaient dans la torpeur de l’attente. Une attente à mi-chemin entre le désespoir et l’espérance qui viendrait peut-être de la salle voisine.
A l’angle droit du patio, dans la salle qui sert au président de l’Assemblée nationale constituante de salle de conférence, les journalistes attendaient la venue de Mustapha Ben Jaafer qui avait annoncé depuis la matinée la tenue d’un point de presse important.
Mais, après une longue attente, le président depuis sa tribune, où s’entassaient les micros, s’est limité à un exercice oratoire. Balayant d’un revers de la main les « accusations de lenteur dans la mise en place du processus de la justice transitionnelle, que certains médias proféraient », Mustapha Ben Jaafer a expliqué aux journalistes combien était difficile le choix des 15 membres de l’Instance Vérité et Dignité. « La fermeté » était de mise dans le choix des membres de l’Instance. Ceux qui chapeauteraient la justice transitionnelle dans ses multiples et, encore, théoriques phases – depuis l’établissement de la vérité, jusqu’à la réconciliation salvatrice – devraient, selon Ben Jaafer, et selon la loi, jouir de tous les critères de neutralité, d’indépendance, d’intégrité et, surtout, de non-appartenance aux rouages de l’ancien régime. Ce qui n’était pas évident et qui demandait beaucoup de temps au niveau de la commission des tris.
Cette conférence de Mustapha Ben Jaafer n’a presque rien annoncé de nouveau aux journalistes, encore moins aux familles des martyrs et des blessés, de plus en plus désarçonnées par le flou et la démotivation des députés pour leur cause. Les appels, à chaud, pour la création de tribunaux spéciaux qui sauveraient les affaires des martyrs et des blessés de la mainmise du tribunal militaire ont été, en effet, frappés par des contre-arguments de non-constitutionnalité et des ripostes en faveur de l’indépendance de « la justice militaire ». Les députés, au moment où les familles attendaient, délaissées de toute une nation et que Ben Jaâfer haranguait devant les journalistes, étaient dans un contexte tout autre. Ils se chamaillaient sous la voûte de l’hémicycle sur l’utilité de la déclaration d’impôts des listes en lice pour les élections législatives, lesquelles devraient se tenir avant la fin de l’année 2014.