Tunisie – Afrique, le continent comme horizon, tel est le thème du 16ème Forum annuel de l’Economiste Maghrébin. Moins par souci de sacrifier à une mode passagère ou pour faire dans le politiquement correct que pour revenir sur certains travers et dérives de l’Histoire et par souci de remettre la Tunisie sur sa véritable trajectoire. Le choix du titre et des mots n’est pas anodin. Il est chargé de signification et de symboles : hisser la Tunisie au rang de pays émergent, capable de construire des relations de coopération et de partenariat avec le continent dont elle portait jadis, dans les temps immémoriaux, le nom.
Le pays n’a pas tous les moyens de l’Europe, des USA, de la Chine, de l’Inde, du Japon, du Brésil, de la Russie ou de la Turquie. Pour autant, il ne manque pas d’arguments pour s’investir pleinement dans un continent en pleine expansion et de surcroît, le sien propre. Il y va de notre survie.
Dans bien des secteurs, le pays a à son avantage de réelles longueurs d’avance qui font de lui un sérieux prétendant et un partenaire de choix, de taille comparable, avec qui il sera possible de coopérer, d’échanger, de s’associer, d’avancer d’égal à égal. Point de vision hégémonique, d’attitude désobligeante, d’arrogance dans les affaires, de liaisons dangereuses et d’échange inégal. Le pays peut se présenter, après une si longue éclipse, en nouveau messager d’une coopération sud-sud, aux relents gagnant-gagnant.
Il fut pourtant un temps pas très lointain- dès les lendemains de l’indépendance- où la Tunisie brillait de mille feux dans le concert des pays africains. Elle s’était forgé un capital de sympathie et de confiance, qui laissait présager une présence active et agissante dans les rouages de l’économie et de la finance africaines. Evaporées toutes les promesses d’avenir ? Oui, sans doute : les années 80 et celles qui s’ensuivirent ne furent pas des plus heureuses, au plan des relations tuniso-africaines. Nous avions, hélas, tourné le dos au continent sur lequel nous sommes censés nous adosser. La Tunisie, tout au long de cette période, s’est bunkérisée sur le plan politique, culturel et diplomatique. L’économie en avait tant souffert. Nous avons perdu de notre influence et fait fi de nos intérêts, dans une région qui nous tenait pourtant en haute estime. Nous nous sommes désengagés de certains centres de décision et d’activités stratégiques, quand nos compétiteurs déployaient d’énormes moyens pour y prendre place. Le constat est plein d’amertume : ce repli, ce retrait ne nous ont pas grandis.
Rendons grâce à une large poignée d’entrepreneurs qui ont su et pu braver l’absence, l’indifférence, sinon l’hostilité de nos lois pour prendre pied en Afrique sans l’aide de l’Etat, sans son appui financier, logistique, voire diplomatique. Ils ont osé s’aventurer là où notre diplomatie brillait par son absence. Là où l’on mesure la déchéance et le naufrage de la diplomatie économique tunisienne, là où il n’y a nulle trace de vision, de politique à l’endroit du continent africain et d’ambition nationale pour marquer notre présence au sud du Sahara, pas plus qu’au nord d’ailleurs.
Ce Forum leur est en quelque sorte dédié. Nous voulons les réunir, pour nous enrichir de leur expérience, de leur expertise, de leur détermination, de leurs témoignages et de leurs exploits. Et pour prendre conscience de la nécessité de nous redéployer sur l’ Afrique, dont l’étendue des richesses n’a d’égale que l’immensité des besoins.
La relation Tunisie – Afrique ne peut être qu’une relation forte, structurée, fondée autant sur des convictions que sur des intérêts, des gains et une prospérité partagés. Forte au point de faire du continent africain notre nouvel horizon, sans en être le seul. On mesure une telle exigence dans le choix du titre du forum : « Tunisie – Afrique, le continent comme horizon ».
Il faut y voir la nécessité de réinventer notre propre avenir, en faisant de l’Afrique notre nouvelle frontière. C’est là que nous devons chercher le supplément de croissance qui nous fait défaut pour équilibrer nos échanges extérieurs, lutter contre le chômage des jeunes et résorber la fracture régionale. Notre principal partenaire européen ne pourra plus, à lui tout seul, nous offrir une telle opportunité.
L’Union européenne est et restera notre principal partenaire. Le partenariat privilégié avec l’UE nous offre de réelles opportunités et peu de menaces. Nous avons besoin de ses investisseurs, aujourd’hui assez réticents, de ses capitaux, de ses marchés, de sa technologie, de son savoir-faire et sans doute aussi de ses entreprises.
Pour mieux accéder aux marchés africains. Mais l’Europe ne pourra, à elle seule, entraîner une véritable dynamique de croissance forte en Tunisie. Elle est quasiment en fin de cycle, aux prises avec de réelles difficultés de restructuration économique et financière. Elle a du mal à redécoller, victime d’une implacable baisse tendancielle de son rythme de croissance. Les Trente Glorieuses sont loin derrière nous. Depuis le premier choc pétrolier, la décrue ne semble pas s’arrêter et moins encore s’inverser. La décennie actuelle pourrait même être une décennie pour rien, en termes de croissance et de prospérité. L’irruption des BRICS, la part de plus en plus croissante qu’ils s’adjugent dans l’investissement, la production -désormais sophistiquée – et les échanges n’est pas sans provoquer le désarroi du tissu productif européen qui a beaucoup perdu de sa suprématie.
Le monde a profondément changé. La carte industrielle et financière n’est plus ce qu’elle était. Le centre de gravité de l’économie mondiale n’est plus en Europe, après avoir migré depuis longtemps vers la zone pacifique et plus particulièrement vers l’Asie, avide de matières premières. Ce qui, du coup, a remis à l’honneur le continent africain, au regard de ses richesses, de ses débouchés et de son potentiel de croissance.
L’Afrique est devenue le champ ouvert de rivalités entre d’anciennes et de nouvelles puissances industrielles ; elle constitue un enjeu économique et géostratégique majeur. Ce regain d’intérêt sonne le réveil d’un continent, longtemps meurtri et ravagé par les guerres et les pillages de ses propres ressources. C’est désormais dans cette région que se concentreront les plus grands gisements de croissance dans le monde.
Dès lors, la question qui se pose pour nous n’est plus de savoir s’il faut aller en Afrique, mais plutôt comment aborder ce vaste continent, avant qu’il ne soit trop tard. Mieux vaut alors se concentrer, pour plus d’efficacité, sur quelques pays que se disperser sur plusieurs fronts.
Nos chefs d’entreprise, qui ont raté le premier train africain, seraient aujourd’hui bien inspirés de rattraper une partie de leur retard. Il leur faut trouver le soutien des autorités, mais aussi les moyens humains et financiers qu’exige une montée en puissance rapide sur un marché aussi vaste et diversifié. Les groupes tunisiens doivent apprendre à travailler ensemble et s’allier entre eux, voire avec des partenaires étrangers, pour être en capacité de s’adjuger jusqu’aux mégaprojets.
A l’heure où s’annonce et s’ouvre le dialogue national sur l’économie, aux fondamentaux aujourd’hui largement abîmés, la question du rapport de la Tunisie au monde ,et plus particulièrement à l’Afrique, doit être l’une des principales priorités du gouvernement et des politiques de tous bords. Quelle importance y aurait-il de changer de gouvernement, si la Tunisie demeure tétanisée par la crainte du changement, figée dans ses relations d’une autre époque par peur ou méconnaissance du monde qui vient, si les jeunes continuent de partir et si les nostalgiques de la classe moyenne continuent de s’appauvrir ?
Il faut un discours et des actes forts pour redonner espoir, pour mobiliser, pour convaincre que le nouveau monde qu’incarne l’ Afrique est d’abord une formidable chance à saisir. C’est aussi et surtout une ardente obligation, si l’on veut généraliser l’emploi et ressusciter le rêve tunisien. Si l’on y accède par le haut, tout redevient possible.