En marge de la conférence organisée par le think-tank Hannibal Strategic Institute sur la situation en Libye, nous avons rencontré le journaliste et écrivain Slaheddine Jourchi. Spécialiste des mouvements intégristes et des phénomènes politico-religieux, il nous a livré sa vision sur les derniers développements politiques et sécuritaires dans le pays voisin. Interview.
leconomistemaghrebin.com : Avec le démarrage le mois dernier de l’action armée du général Hafter contre les groupes islamistes, le conflit libyen ne cesse d’empirer. Quelles sont selon vous les répercussions de l’instabilité en Libye sur la Tunisie ?
Slaheddine Jourchi : Avec l’élargissement du conflit armé en Libye, la Tunisie est confronté à des répercussions sécuritaires directes. Les groupes armés sont de plus en plus proches des frontières et le trafic des armes de plus en plus répandu. Une grande crise risque de se poser également si un grand nombre de Tunisiens résidant en Libye et des ressortissants libyens fuyaient massivement le conflit vers la Tunisie. De tels flux pourraient bien compromettre les équilibres financiers et sociaux du pays.
Quelle attitude la Tunisie devrait-elle adopter face à ce qui se passe en Libye ?
Les Tunisiens n’ont pas encore une vision claire de la situation en Libye. Le paysage est divisé. D’une part, il y a ceux qui essaient de soutenir le gouvernement libyen, au nom de la légitimité. De l’autre, il y a ceux qui pensent que Hafter pourrait arranger la situation en Libye.
Quoi qu’il en soit, je pense qu’il ne faut surtout pas s’immiscer dans les affaires internes des Libyens. La précipitation, tout comme l’ingérence, est à éviter. Sinon, on risque de se trouver au centre du conflit libico-libyen.
Qu’en est-il de l’affaire des deux diplomates tunisiens enlevés en Libye ? Comment jugez-vous le efforts de la partie tunisienne pour résoudre ce problème ?
La situation des deux otages est difficile et s’est davantage compliquée avec les récents développements. Les autorités tunisiennes et diplomatiques essaient de résoudre cette affaire complexe. Mais dans tous les cas, la solution ne devrait pas être aux dépens de la souveraineté de la décision nationale. Il ne faut pas céder devant les ravisseurs, sinon il y aura des récidives à l’infini.
La Libye est devenue comme un échiquier où toutes les forces internationales sont présentes. Comment voyez-vous le déploiement de ces pays sur le sol libyen ?
Il est à noter d’abord que le dossier libyen est désormais présent sur les tables des décideurs de presque tous les pays occidentaux. Et il paraît qu’il s’agit encore d’une période d’étude et de diagnostic des rapports de force en Libye. Les Occidentaux paraissent toutefois plus enclins à soutenir Haftar et même à le couvrir si jamais il progressait dans ses actions militaires et gagnait plus de partisans. En effet, Hafter a fait de la lutte contre le terrorisme son cheval de bataille, et les forces internationales estiment ainsi que ce but coïncide parfaitement avec leurs intérêts et objectifs.
Vous avez parlé de soutien et de couverture. De quel genre de couverture s’agit-il ? Le soutien pourra-t-il se traduire par des armements ou des actions militaires conjointes ?
Jusqu’à maintenant, rien n’est encore précis, ni définitif. Il s’agit pour le moment de communications politiques. Les pays occidentaux essaient également de ne pas se focaliser médiatiquement sur la situation en Libye, pour esquiver ce genre de questions.
Mais, tout est possible, d’autant plus que d’autres pays continuent de soutenir le gouvernement libyen renversé par Hafter au nom de la légitimité. Il n’y a pas une unanimité sur l’interprétation de ce qui se passe en Libye. Mais une chose est sûre, tous les pays sont dans la même phase : la surveillance et le suivi.