Les diplomaties économiques se ressemblent en apparence, mais ne se valent pas dans les faits. L’habit, il est vrai, ne fait pas le moine. Quand le Roi du Maroc Mohammed VI se déplace en visite officielle en compagnie d’une armada de chefs d’entreprise, maîtres de leur gouvernance, sûrs de leur stratégie, assurés qu’ils sont de l’appui du gouvernement, que dis-je du roi lui-même et de la complicité des syndicats et de l’ensemble de la classe politique, cela a du sens. Cette diplomatie économique est un investissement rentable à tout point de vue. Elle s’inscrit dans la durée, elle procède d’une vision ; elle est l’incarnation d’une ambition et d’un grand dessein national.
Le Maroc de Mohammed VI poursuit méthodiquement, avec art et doigté, son offensive de conquête de sympathie internationale et de surcroît africaine au nord comme au sud du Sahara. Il ne s’agit pas de manifestations de circonstance sans lendemain, d’opérations spontanées ou improvisées comme on en voit chez nous. Le Maroc n’a de cesse de se donner les moyens d’une véritable ambition régionale. Il entend s’ériger, sans rente pétrolière, en tant que puissance régionale en émergence rapide.
L’offensive diplomatique, commerciale et financière du Maroc arrive aujourd’hui à maturité. Elle a commencé très tôt en Afrique avant que le continent ne révèle tout son potentiel de croissance. Il s’est mis en quête de développer ses vecteurs de pénétration en terre africaine. Les banques marocaines en sont le fer de lance, elles jouent désormais dans la cour des grands de ce monde et ont ouvert un boulevard aux entreprises du royaume en Afrique. Royal Air Maroc, qui ne lésine pas sur les moyens, a fait le reste. Son réseau n’a rien à envier aux compagnies à vocation planétaire. Elle a réussi à faire de l’aéroport de Casa un hub international, un passage privilégié entre l’Afrique, le Moyen- Orient, l’Europe et les Amériques.
Le Maroc se projette pleinement dans la mondialisation en réglant sa cadence sur les grands émergents sans s’accrocher vainement aux reliques d’un protectionnisme qui n’est plus de saison.
L’Administration marocaine, qui dispose d’une véritable élite rémunérée au mérite, a libéré les entreprises de toute entrave ; elle a fait exploser pour ainsi dire la croissance. Mieux, elle leur accorde aide et soutiens financiers sur le plan local comme à l’international. Celles-ci sont de surcroît épaulées par un système bancaire performant, aux larges ramifications internationales et nullement tétanisées par l’aversion du risque.
Le Maroc se met progressivement et à pas sûrs dans la posture d’une puissance régionale. Il n’est pas loin d’y parvenir. Il ne fait pas d’ailleurs mystère de son ambition. Il déploie des moyens conséquents à cet effet : infrastructure de qualité, législation adaptée, logistique appropriée, instruments financiers conçus à l’effet de la mondialisation de l’économie… Rien n’y manque. Avec cette particularité, qui n’a plus cours chez nous, que ce qui est bon pour les entreprises est bon pour le Maroc.
La forte présence de ces entreprises à l’occasion de la visite du Roi Mohammed VI est une véritable démonstration de force. Nos chefs d’entreprise ne sont pas les derniers à s’en apercevoir. Le sentiment qui prévaut chez eux -et ils ne s’en cachent pas- est un mélange d’envie, de frustration, voire d’amertume. Et pour cause. Il y a dix ans – hormis le secteur bancaire marocain qui a pris son envol plus tôt – le match interentreprises Tunisie-Maroc tournait en notre faveur. Les dernières années, de fin de règne du régime Ben Ali, ont amorcé –avant de le creuser- l’écart au profit des entreprises marocaines, plus conquérantes, moins bridées par un pouvoir accroché à ses propres privilèges. Les entreprises marocaines se sentaient pousser des ailes à l’idée de se mettre au service d’un grand dessein national qui leur fait, il est vrai, la part belle. Les entreprises tunisiennes auront connu un début de siècle difficile, victimes qu’elles étaient d’une mauvaise gouvernance économique et politique. Les trois dernières années ont achevé de creuser l’écart en faveur du tissu productif marocain jusqu’à ne plus soutenir la moindre comparaison.
Sans but politique clair, précis et convaincant, sans vision lointaine sans perspective de développement, sans véritable politique industrielle, nos entreprises ne peuvent mener large. Elles manquent de visibilité et sont livrées aux surenchères de toutes sortes, en l’absence de l’autorité de l’Etat si se n’est de l’Etat lui-même. Elles sont aujourd’hui distancées, reléguées dans des divisions inférieures. Elles sont même sous la menace d’une disqualification pour les compétitions maghrébines et africaines et plus encore euro-méditerranéennes.
Le Maroc se fait aujourd’hui le chantre et l’avocat de l’UMA. Le roi lance un appel à partir de Tunis pour une plus grande intégration économique régionale et pour la création d’une véritable zone de libre- échange. Il le fait avec l’assurance que lui inspire l’état de santé et l’avance des entreprises du royaume. Son ministre des Affaires étrangères qui fut dans de précédents gouvernements un brillant ministre de l’Economie et des Finances, lui fait écho en multipliant les offres de coopération et de partenariat. Les entreprises marocaines, plus conquérantes que jamais, peuvent ainsi asseoir leur notoriété sur la région. Tant mieux d’ailleurs pour le Maghreb des entreprises.
Les entreprises tunisiennes ne pouvaient espérer meilleur stimulant. Serait-ce là le déclic, l’argument qui leur faisait défaut pour dénoncer l’incurie générale des politiques qui se disputent le pouvoir, l’inertie de l’administration qui se complaît dans sa paralysie, les excès et les dérives syndicaux qui ont mis à genoux l’ensemble des groupes publics sans épargner pour autant le secteur privé ?
Il y a aujourd’hui besoin d’un sursaut national, d’une mobilisation générale, d’un engagement collectif pour libérer nos entreprises de tiraillements politiques et de surenchères syndicales. Elles ne peuvent pas évoluer en l’absence d’une véritable perspective de développement global fondée sur un projet de société dont elles seraient le principal moteur de transformation économique et sociale. On les disait naguère victimes d’un système politique au mode de gouvernance étriqué et d’une grande opacité. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous le pont de Carthage. Les trois dernières années ne leur ont pas ouvert les horizons qu’il faut pour un développement rapide, durable et réussi. A quand le signal de départ ? A quand la résurrection ?