La Tunisie a rendez-vous avec l’Histoire. Elle en a pris l’habitude depuis 2011. Au terme d’un processus long de plus de trois ans, des élections présidentielle et législatives se profilent à l’horizon. Leurs résultats dessineront l’avenir du pays et donneront des indices sur le destin de la Révolution. Si ces élections se déroulent dans des conditions libres et pluralistes et sans manifestation de violence, elles marqueront alors une nouvelle étape dans le processus de transition démocratique, celle de la mise en place des institutions prévues par la nouvelle Constitution. La Seconde République deviendra une réalité institutionnelle et politique. Une nouvelle page de l’histoire tunisienne se tourne, notamment celle de l’indépendance (à l’origine de la Constitution de 1959 et de la première République).
Un moment historique. Et pourtant, les citoyens tunisiens sont désenchantés. En atteste le caractère laborieux, poussif des inscriptions sur les listes électorales. Il y a un vrai désenchantement démocratique nourri avant tout par une situation économique et sociale très difficile. Les Tunisiens n’admettent pas que la Révolution n’ait bas abouti immédiatement sur une amélioration de leur propre condition. De fait, la chute de l’ancien régime a déstabilisé l’ordre économique et social (ce qui est inhérent à toute révolution…). Par effet de domino, c’est la condition individuelle des citoyens tunisiens qui s’en est trouvée fragilisée. Fers de lance de la révolution, les jeunes diplômés au chômage demeurent confrontés à un cruel manque de perspectives. Les populations des régions défavorisées (à l’intérieur du pays) se plaignent de la lenteur du changement espéré…
Personne ne croit en l’homme providentiel. Même pas Ennahda. Faut-il le rappeler, le parti islamiste a défendu au sein de l’ANC l’option d’un régime d’assemblée plus que d’un régime proprement parlementaire, avec un président de la République élu par l’Assemblée législative et quasiment privé de tout pouvoir. Si la Constitution n’a pas consacré cette solution, elle n’en exclut pas moins l’hypothèse d’une pratique présidentialiste, telle qu’elle existe en France. Ni régime d’assemblée, ni régime présidentiel, la Seconde République a vocation à vivre dans un régime mixte, un régime à caractère parlementaire dans lequel le « gouvernement gouverne » avec le soutien d’une majorité parlementaire.
Le président de la République est élu au suffrage universel direct. Cette puissante source de légitimité démocratique contraste avec la faiblesse des prérogatives constitutionnelles que lui ont attribué les membres de l’ANC. Il dispose malgré tout du pouvoir de définir les politiques de défense, affaires étrangères et sécurité intérieure, de nomination aux hautes fonctions militaires, diplomatiques et sécuritaires, du Mufti de la République et du Gouverneur de la Banque centrale, ainsi que de pouvoirs exceptionnels en cas de « péril grave menaçant l’entité nationale, sa sécurité ou son indépendance ». Il dispose également d’un droit de réponse à la Cour constitutionnelle, de convocation du référendum sur les conventions internationales ou les droits et libertés et d’initiative de révision constitutionnelle. Quant au droit de dissolution de l’Assemblée, qui détermine l’équilibre des pouvoirs au sein de l’exécutif, il reste limité à deux cas limitatifs et qui en neutralise a priori tout usage.
Ces prérogatives limitées n’altèrent pas pour autant l’attractivité de la fonction présidentielle. Il suffit de constater l’afflux de candidatures officielles. A la fin du délai de dépôt des candidatures (22 septembre), celles-ci seront examinées par l’ISIE pour être validées. Mise à part l’absence de grande figure de l’islamisme politique tunisien, des personnalités de premier plan ont d’ores et déjà officialisé leur candidature à la présidentielle au siège de l’ISIE. L’actuel président de la République Moncef Marzouki aura pour « challenger » l’ancien Premier ministre et président de Nidaa Tounes, Béji Caïd Essebsi, le président de l’ANC Mustapha Ben Jaafar et l’ex-gouverneur de la Banque centrale Mustapha Kamel Nabli. Des figures politiques importantes qui devront prendre garde à ne pas donner l’impression que dans un pays aussi jeune que la Tunisie, paradoxalement, démocratie rime avec gérontocratie.
Si la condition d’âge maximal (75 ans) a été finalement supprimée, l’âge minimal de candidature à l’élection présidentielle est fixé à 35 ans. Plus largement, la problématique des conditions de candidature à la présidence de la République a beaucoup été débattue au sein de l’ANC. Si l’exigence pour les binationaux de renoncer à une autre nationalité que la nationalité tunisienne n’est pas applicable au moment de la candidature, elle le devient en cas d’élection. Cela suppose toutefois que la loi de l’Etat étranger en question autorise ce renoncement à ses nationaux. Par ailleurs, deux conditions figurant dans cet article ont pour conséquence d’exclure de la présidence de la République deux catégories de citoyens, en ce qu’il est exigé que tout candidat soit Tunisien de naissance et musulman excluant les Tunisiens naturalisés et les non‐musulmans (sauf en cas de conversion à l’islam), étant précisé que la Constitution ne comporte aucune définition précise de la notion d’islamité. Ces restrictions n’existent toutefois pas pour la candidature aux élections législatives qui n’est conditionnée que par la possession de la nationalité tunisienne depuis dix ans, la représentation des Tunisiens résidant à l’étranger étant par ailleurs consacrée.
L’élection présidentielle, c’est un homme devant son peuple. C’est à la fois une aventure individuelle et collective. Or si les ambitions personnelles ne manquent pas de s’exprimer, le peuple, lui, semble se détourner. Le désenchantement démocratique pèse sur la volonté de s’engager. Au-delà de la lassitude ambiante, il est de la responsabilité des candidats d’offrir un projet de société digne de ce nom à un peuple en quête de perspectives post-révolutionnaires.