À moins d’une semaine du scrutin législatif, l’heure n’est pas encore au bilan de la campagne électorale. La preuve, celle-ci s’est accélérée au moment précisément de s’engager dans la dernière ligne droite. Par avance, la tenue du scrutin doit être saluée pour sa signification profonde et sa portée historique dans l’avènement d’une démocratie dans le monde arabe. Il s’agit en effet des premières élections organisées depuis la promulgation de la nouvelle Constitution, des élections législatives visant à élire les premiers membres de l’Assemblée des représentants du peuple, et ce pour un mandat de cinq ans. La nature du régime qui résulte de la nouvelle Constitution donne une importante cruciale à ces élections : la politique de la Nation et le gouvernement qui devra la mener procéderont directement de leurs résultats.
La campagne échappe jusqu’à maintenant à toute violence politique. Cela mérite d’être souligné au regard du passé récent et du contexte régional. Toutefois, les citoyens vigilants et exigeants que sont devenus les Tunisiens se montrent pour le moins insatisfaits, voire perdus : la multiplicité des débats et discours ne leur permet pas d’y voir plus clair dans l’offre ou programme politique des uns et des autres, au contraire ; outre ce manque de lisibilité, les candidats peinent à convaincre de leur sérieux et de la sincérité de leur engagement ; enfin, à force de s’entendre flatter, les citoyens ont appris à se méfier de la classe politique, dont la flagornerie à l’égard du « peuple » n’a fait que renforcer la méfiance populaire. En cela, la démocratie balbutiante en Tunisie n’échappe pas à la vague ou mode populiste.
Certes, le populisme n’est pas propre à la Tunisie, le fléau concerne également les régimes démocratiques en Europe, aux États-Unis et en Amérique latine. Le populisme : une maladie démocratique ? Non, il n’y a pas d’exclusivité en la matière. Pour preuve, l’ancien régime savait également faire appel et flatter le peuple pour mieux le tromper et le spolier. Aujourd’hui, le populisme est lié en partie aux aspirations sociales et politiques permises par la démocratie. Des aspirations légitimes, mais qui sont appelées à être tempérées par le principe de réalité. L’État sans limite n’existe pas, il ne peut tout faire. En revanche, il peut mieux faire. Bref, face à la passion démocratique, il convient de répondre avec les armes de la Raison et de la rationalité.
La dérive populiste née après la révolution ne semble épargner ni les partis, ni les hommes politiques en course pour les 217 sièges de députés à l’Assemblée des représentants du peuple. La campagne électorale ne fait que l’accentuer et la rendre plus visible que jamais. À coup de discours, de meetings, d’interviews et d’interventions télévisées, les citoyens sont soumis à une série de « publicités mensongères » sous forme de promesses électorales. On connaît le stratagème : on dit au peuple ce qu’il aime entendre, quitte à lui promettre des choses irréalistes ou irresponsables. Tout est possible- même l’impossible- pour obtenir les voix du peuple, à commencer par le flatter et lui promettre monts et merveilles. Les conséquences sont bien connues : popularité temporaire, victoire électorale, déception et rejet populaire.
Or, personne n’est dupe et le fait de céder à cette facilité ne fait que renforcer la défiance des citoyens à l’endroit d’une classe politique censée veiller aux intérêts et au destin du pays. Le courage politique constitue une denrée rare actuellement.
Qu’est-ce que le populisme ? Est-ce l’exaltation du peuple dans tous ses excès ? Est-il l’expression moderne de la souveraineté populaire ? Auquel cas les populistes ne seraient pas les ennemis de la démocratie, mais ses garants… Si la notion de populisme recouvre une grande diversité de phénomènes, les populistes se caractérisent par une conception morale de la politique particulière : la connaissance et la représentation du peuple véritable. Un monopole foncièrement contradictoire avec le pluralisme constitutif de toute démocratie. En cela le discours populiste est une menace pour la démocratie.
Ce phénomène a nourri le choix de nombre de Tunisiens de ne pas s’inscrire sur les listes électorales. Aujourd’hui, c’est le spectre de forte abstention aux prochaines élections qui se dessinent. Le taux d’abstention traduit en chiffre la défiance des citoyens à l’égard de leur propre classe politique, dont les membres sont présumés être à la fois impuissants (le vote de l’électeur comme la volonté de l’élu n’auraient pas le pouvoir de « changer la vie ») et corrompus (les scandales et autres « affaires » ne se sont pas évanouies avec la chute de l’ancien régime). Une double présomption négative qui explique en partie le refus plus ou moins radical de participer au jeu électoral (la non-inscription sur les listes électorales n’a pas la même signification que l’abstention) et qui illustre la fracture politique qui oppose les élus et leurs citoyens, les gouvernants et les gouvernés. Si les acteurs ne remédient pas à cela en se montrant à la hauteur de l’histoire, ce sont les bases démocratiques du régime qui seront un peu plus fragilisées…