Peut-on dire que la Turquie défie ses alliés traditionnels, vu sa prise de distance actuelle de la politique américaine, en Irak et en Syrie ? La participation turque à la guerre de Corée (1950 – 1953) facilita son adhésion à l’Otan (1952). La Turquie contribue à la surveillance de l’URSS, puis, bien entendu de la Russie, après la fin de la Guerre froide. Elle est la gardienne de la mer Noire, dont elle détient les clés, dans le Bosphore et les Dardanelles. Depuis son adhésion à l’Otan, la Turquie bénéficie d’une alliance privilégiée avec les USA. Le territoire turc a servi de porte-avions en 1990 dans la guerre contre l’Irak, puisqu’il abrite plusieurs bases de l’Otan et quelques milliers de soldats américains. Ce qui a permis aux Occidentaux d’attaquer Bagdad sur deux fronts. La Turquie est un des pays les plus aidés par les États-Unis (le troisième après Israël et l’Égypte, pré-révolution). Cet alignement et son alliance avec Israël, qu’elle a reconnu, dès 1948, l’a coupée du monde arabe, qu’elle occupait sous le califat ottoman.
Depuis la fin de la Guerre froide, la Turquie semble à la recherche d’un nouveau jeu de rôle. La dislocation de l’empire russe et la libération, en conséquence, des Etats turcophones, qui étaient sous l’obédience de Leningrad, lui permit de formuler ses ambitions en Asie centrale turcophone. L’Asie centrale est devenue, pour Ankara, un important marché et un nouvel espace d’influence, en concurrence avec la Russie. La Turquie engagea une nouvelle stratégie – certains diraient une néo-ottomonisaation – au sein du monde arabe. Elle prit ses distances d’Israël et se rapprocha des principaux acteurs arabes. Elle soutint Hamas et dénonça les guerres contre Gaza. Lors du « printemps arabe », son jeu de rôle s’inscrit dans son soutien à l’Islam politique. Elle dénonça la chute du mouvement des Frères musulmans, en Egypte, et s’impliqua dans la guerre de Syrie. Prenons la juste mesure du changement de nature du régime ottoman, sous le gouvernement d’Erdogan. Son refus de participer au sommet de Riyad et sa prise de distance des positions des USA, dans la troisième guerre d’Irak, attestent les relations différentielles avec l’Islam politique, des alliances de circonstance des USA et des alliances idéologiques de la Turquie.
Ne perdons pas de vue la donne kurde de la conjoncture : l’émergence des Kurdes d’Irak et de Syrie, comme acteurs sur la scène des combats, et le soutien de leurs frères de Turquie brouillent les cartes et réaniment la nouvelle donne ethnique. La naissance d’un Kurdistan, rassemblant ses différentes composantes territoriales, en Irak, en Turquie, en Syrie et en Iran – un scénario catastrophe pour ces pays – ne risque-t-il pas d’être mis à l’ordre du jour, par les guerres civiles actuelles, ne serait-ce que dans un avenir lointain ? Le Moyen-Orient peut-il s’accommoder de l’ouverture d’une nouvelle question d’Orient, après les tragiques velléités du Grand Moyen-Orient ?