Le hasard fait bien les choses. Spécial Finance 2014 est venu à point nommé, dans le bouillonnement d’idées et de débats de la campagne électorale.
Qu’on en parle ouvertement ou qu’on occulte la question, celle-ci est dans tous les esprits. Que n’a-t-on dit et répété au sujet des priorités du prochain gouvernement qu’à peine installé, il devra affronter d’énormes difficultés. Que de défis en perspective ! Les uns plus graves et plus brûlants que les autres.
Les 100 premiers jours de grâce dont on parle tant ne suffiront pas pour réactiver les projets en souffrance et entreprendre les réformes qui ne peuvent plus attendre. Faute de les avoir engagés plus tôt, les précédents gouvernements, d’après comme d’avant la révolution, ont limité notre capacité de développement et rétréci l’horizon de notre économie.
L’économie et par conséquent les vaisseaux sanguins que sont les circuits financiers qui l’irriguent ont alimenté la chronique électorale. Et pour cause ! L’offre politique est si peu convaincante et si peu attractive que l’essentiel de l’argumentaire politique des candidats fut de nature et d’essence… économique : emploi, salaire, stabilité des prix, pouvoir d’achat et pour tout dire, perspective de vie meilleure…
Passage obligé, l’économie et bien évidemment la finance forcément au service de l’économie réelle, ces deux sphères aux intérêts si imbriqués, sont revisitées par l’ensemble des prétendants, qu’ils soient indépendants ou représentants de partis politiques, réconciliés comme par miracle avec les valeurs et la culture d’entreprise. Sans que l’on sache vraiment comment et depuis quand. Tous se font les chantres d’un nouveau modèle de développement dont ils tracent les contours en pointillé, ou en traits gras pour les plus déterminés d’entre eux. Argument choc : l’ancien modèle a montré ses propres limites, s’est essoufflé et a conduit le pays à une impasse. Soit. Il faut donc redéfinir nos nouvelles lignes de développement, tous secteurs confondus, en mettant en valeur de nouveaux avantages comparatifs.
Le nouveau modèle, repris en chœur, doit mobiliser plus de matière grise et moins de force musculaire. Ce qui revient à dire plus de contenu technologique et de valeur ajoutée pour s’arracher des marécages des bas salaires qui fondent pour l’heure notre avantage compétitif.
Exit les activités à faibles coûts de production, exposées à la concurrence internationale ou même bénéficiant de protection naturelle, à forte intensité de main-d’œuvre et à faible rémunération. Cap sur les industries et les entreprises à forte productivité, pour lesquelles l’innovation et l’impératif de qualité sont la principale marque de fabrique.
L’idée n’est pas nouvelle, elle est même fort ancienne. Il y a même eu les prémices d’un renouveau industriel, d’une remontée en gamme au cours des dix dernières années. Le site Tunisie est monté de plusieurs crans dans l’industrie des composants automobiles. Il s’est même taillé une place d’honneur dans l’industrie aéronautique. Pas assez et pas assez vite sans doute.
Mais le mouvement était déjà amorcé. Et ce n’est pas trahir la ferveur révolutionnaire des convertis de la dernière heure que de le rappeler.
Un nouveau modèle pour un nouveau départ et pour se hisser à de nouveaux paliers de développement ? Qui n’y souscrit. Nos aptitudes managériales, notre désir d’entreprendre et d’aller de l’avant et notre potentiel scientifique et technologique légitiment une telle revendication qui, du reste, s’impose d’elle-même.
Le développement durable est à ce prix, c’est-à-dire au prix d’un modèle qui intègre les nouveaux relais de la croissance qui sont les NTIC, l’économie verte, les services à forte valeur ajoutée liés à l’industrie, elle-même à fort contenu technologique et plus particulièrement l’industrie de la finance dans ce qu’elle a de plus évolué.
Libérée de son dirigisme excessif, de sa vision étriquée, des craintes et des peurs d’une ouverture même maîtrisée, la Tunisie post- révolution peut aspirer à devenir une véritable place financière à vocation régionale, voire planétaire. Elle a les moyens, les attributs et les compétences humaines pour aller jusqu’au bout de ce projet. Point de passage entre l’Europe, l’Afrique, le Moyen et même l’Extrême-Orient, elle sera dans son rôle, comme un maillon central, pour s’inscrire dans le nouvel ordre financier mondial qui n’arrête pas de se mettre en place.
Au confluent de plusieurs cultures – y compris managériales -, le pays a tout à gagner à s’ouvrir sur le grand large, c’est-à-dire sur la concurrence internationale. Il ne pourra, dès lors, s’exonérer de la nécessité de mettre aussitôt à niveau son système financier pour se conformer aux standards mondiaux de compétitivité et de qualité les plus performants.
L’idée de faire de Tunis une place financière est certes séduisante ; elle peut paraître assez présomptueuse, au regard du marasme actuel et de l’état peu reluisant et de l’économie et du système financier, dont on n’a pas fini d’énumérer les faiblesses et fragilités. Mais le projet est loin d’être irréalisable, tant il est vrai que les plus grandes réalisations commencent toujours par une utopie.
Le prochain gouvernement issu des urnes peut porter cette ambition. A charge pour lui d’engager, aussitôt installé dans ses nouvelles fonctions, les nécessaires réformes pour donner à la capitale les outils et les moyens d’une véritable place financière qu’il aurait fallu promouvoir depuis fort longtemps.
L’urgence consiste à ouvrir le vaste chantier des réformes du système bancaire qu’il faut assainir, moderniser, restructurer, aider, accompagner et inciter à voir plus grand, plus fort et plus loin, habitué qu’il est à évoluer dans un périmètre pour le moins protégé et si peu ouvert à la concurrence. Le constat vaut aussi pour le secteur des assurances, très en deçà de ce que pourraient être sa masse critique et sa contribution à l’économie.
L’ouverture ne signifie nullement une totale dérégulation aux conséquences improbables. Au contraire, elle doit être pensée, réfléchie et perçue comme un puissant stimulant pour contraindre notre système financier à s’inscrire dans un mouvement d’innovation, de développement et d’émergence de champions nationaux. Elle doit être conçue comme le principal moteur d’une course rationnelle à la taille, aux économies d’échelle et à l’internalisation pour accompagner nos entreprises sur les marchés tiers. Celles-ci, des plus petites aux plus grandes, y trouveraient les financements nécessaires sans restrictions et à des conditions de coût appropriées pour poursuivre leur développement. Qu’on se le dise : on ne peut avoir une économie prospère, en croissance rapide et durable sans un secteur financier sain et dynamique.
Favoriser l’émergence à Tunis d’une place financière à vocation internationale, c’est une chance et une aubaine à plus d’un titre pour l’économie réelle et pour la jeunesse de ce pays, contrainte de s’exiler ailleurs pour donner toute la plénitude de ses compétences.
L’évidence s’impose : la faible taille du pays, son positionnement géographique, la disponibilité de compétences humaines jeunes et dynamiques, la modicité de ses ressources naturelles, le besoin d’ingénierie financière dans la région et le volume d’opportunités d’affaires qu’offre un secteur financier
de niveau international font que celui-ci soit l’un des principaux relais et foyers de la croissance future. Il fera redresser le PIB, par son périmètre d’action, relancera la création d’emplois qualifiés et hautement rémunérés. Il donnera de la Tunisie une toute autre image que celle véhiculée aujourd’hui. Il n’en faut pas plus pour améliorer l’attractivité du site Tunisie, élargir l’horizon de nos entreprises, donner une véritable perspective aux jeunes et relever pour ainsi dire les défis du développement.