Un document de travail de la Banque mondiale publié récemment montre que la guerre en Syrie a entraîné, jusqu’à présent, des pertes de production se chiffrant à près de 35 milliards de dollars (aux prix de 2007) pour les six pays de la région du « Levant », à savoir la Turquie, la Syrie, le Liban, la Jordanie, l’Iraq et l’Égypte. En d’autres termes, le poids économique cumulé de ces économies, mesuré par leur produit intérieur brut (PIB), aurait été supérieur de 35 milliards de dollars si la guerre n’avait pas éclaté… Ce coût global est tout simplement équivalent au PIB syrien de 2007 !
Le rapport indique que les pays les plus touchés par la guerre, la Syrie et l’Iraq, payent le plus lourd tribut sur le plan des coûts économiques directs et du manque à gagner dû à l’absence d’une intégration économique plus poussée : en Syrie et en Iraq, le revenu moyen par habitant en termes constants est ainsi inférieur de respectivement 25 et 28 % à ce qu’il aurait pu être sans le conflit. Les coûts directement imputables à la guerre sont considérables, puisqu’ils sont associés à une diminution du PIB par habitant de 14 % en Syrie et de 16 % en Iraq. L’embargo commercial auquel la Syrie est soumise constitue le principal facteur à l’origine de ces coûts directs, suivi de la diminution des effectifs et des compétences de sa population active due aux pertes humaines et à l’exode des réfugiés, la destruction des infrastructures, et l’augmentation du coût de l’activité économique dans les zones touchées par le conflit.
Les autres pays de la région ont subi des pertes au niveau du revenu moyen par habitant sans pour autant enregistrer des pertes de revenu global dues aux effets directs du conflit. L’afflux de réfugiés au Liban, en Jordanie et en Turquie a en effet dopé la consommation, l’investissement et l’offre de main-d’œuvre, et par conséquent la taille de leur économie. Mais, dans tous les cas, comme le revenu global a moins augmenté que la population, la guerre a eu un impact négatif sur le niveau de vie dans ces pays : au Liban, le revenu moyen par habitant est inférieur de 11 % au niveau qu’il aurait pu atteindre s’il n’y avait pas eu de guerre, tandis que la baisse est limitée à 1,5 % en Turquie, en Jordanie et en Égypte. Pour ces trois pays, le manque à gagner dû au gel des initiatives d’intégration commerciale est supérieur aux coûts directs de la guerre.
En Syrie, la quasi-totalité des secteurs économiques ont souffert, mais la propriété foncière a été particulièrement touchée du fait de la forte chute de la demande de terre causée par l’exode d’un très grand nombre d’habitants. Au Liban et en Turquie, en revanche, les propriétaires terriens et les détenteurs d’entreprises ont, contrairement aux travailleurs, bénéficié de la crise car l’afflux de réfugiés syriens a fait augmenter la demande locale de biens et de services (faisant ainsi augmenter les prix) mais aussi l’offre de main-d’œuvre. Compte tenu de la détérioration de la qualité des services et de la baisse des salaires découlant de la concurrence accrue sur le marché du travail, ce sont finalement de nombreux pans de la population qui ont souffert.
Les effets directs du conflit dans la région ne constituent donc malheureusement qu’une partie des coûts économiques réels de la guerre civile en Syrie et de la progression de l’État islamique. La guerre ayant mis fin au développement d’un commerce intrarégional solide et aux projets de renforcement de l’intégration commerciale, il est impératif de prendre en considération les bénéfices perdus de ce fait par les pays de la région pour évaluer précisément les coûts économiques du conflit.
Et même en tenant compte de ce manque à gagner, il y a encore d’autres coûts qui ne sont pas inclus dans l’analyse, dont notamment les coûts budgétaires liés aux services de base qui doivent être fournis aux réfugiés dans les pays qui le ont accueillis ou encore ceux associés à la mise en place des infrastructures requises pour les prendre en charge. Ces coûts pourraient s’avérer considérables pour le Liban, la Jordanie et la Turquie, les trois pays qui ont accueilli le plus de réfugiés. Les coûts à venir découlant du grand nombre de victimes ainsi que de la reconstruction matérielle et de la reconstitution du capital humain anéanti seront sans doute eux aussi considérables, surtout en Syrie. Nos calculs se basant sur les événements survenus jusqu’à la mi-2014, l’ampleur de l’impact économique — et surtout humain — sera bien entendu amené à évoluer en fonction du cours que prendra le conflit qui secoue la région.